Un lundi matin, boulevard Saint-Germain, à deux pas de l’Assemblée nationale, la salle des pas perdus du cabinet Seban et associés ressemble à une fourmilière. Les avocats, le personnel administratif, mais aussi les clients passent d’une pièce à l’autre grâce à l’aiguillage bienveillant de l’hôtesse d’accueil, qui propose à qui veut un café.
Car passer la porte de « chez Seban », c’est pénétrer à la fois dans le plus grand cabinet dédié à l’action publique locale et dans un appartement familial où voir déambuler des enfants ne serait pas étonnant.
Cette atmosphère chaleureuse se retrouve dans la poignée de main que donne Didier Seban, chaque matin, à l’ensemble de son équipe. Nadia Ben Ayed, qui y a travaillé sept ans avant de rejoindre en 2018 le département des Yvelines, garde un souvenir ému de l’avocat : « C’est un grand monsieur, il sait fédérer. Il a ce leadership des grands hommes d’Etat. »
Attiré par la liberté
« J’ai toujours voulu servir l’action publique », confesse-t-il, presque gêné, quand il se remémore sa jeunesse. Sur les bancs de Sciences-po, il connaîtra aussi le militantisme politique : à l’Unef, dont il deviendra président à 20 ans, et au Parti communiste. Mais ses engagements politiques affirmés seront un frein pour celui qui souhaite passer le concours de l’ENA : « Ils n’auraient pas été compatibles avec une carrière de haut fonctionnaire. »
Dans la profession d’avocat, il est attiré par la liberté. Après avoir prêté serment en 1981, il choisira le droit pénal afin de s’écarter de ses engagements politiques. Comme s’il se sentait marqué au fer rouge. Jean-Louis Pelletier lui enseignera les ficelles du métier. « Il m’a appris à mettre le pied dans la porte et à passer par la fenêtre. »
Pendant une année de collaboration, le jeune avocat assimile ce qui constituera l’une de ses marques de fabrique : manier les mots pour « faire pleurer les truands ». Travaillant désormais à son compte, le praticien devient l’avocat de la maison d’arrêt de Pontoise (Val-d’Oise) et défend à la chaîne les voyous.
Mais, très vite, il a « le sentiment d’être le faire-valoir d’une justice qui fonctionne mal, où l’avocat fait partie du décorum ». Lorsque le maire de Pantin (Seine-Saint-Denis) lui demande d’être son avocat, Didier Seban découvre le monde public local. « Je me rends très vite compte que les collectivités sont confrontées à une multitude de règles en dehors du droit public. »
Il a alors une idée qui fera de son cabinet le leader du contentieux local : une offre globale dédiée aux collectivités. Pour la développer, il s’entoure des meilleurs spécialistes de chaque secteur du service public. Et tisse un maillage territorial qui ferait rougir l’Agence nationale de la cohésion des territoires : après Lyon, Grenoble, Toulouse, Nantes, La Roche-sur-Yon et Besançon, le cabinet s’implante en 2020 à Bordeaux, Clermont-Ferrand et Strasbourg.
Bête de travail
Une stratégie payante qui lui permettra de devenir incontournable au sein de la sphère locale. Fabien Tastet, le directeur général des services de Grand Paris sud est avenir (Val-de-Marne), résume cette omniprésence par une boutade : « Si, un jour, des collectivités se faisaient une guerre judiciaire, Didier Seban serait bien malheureux : il les défend toutes ! » De la lutte contre les emprunts toxiques à celle contre les marchands de sommeil, en passant par la défense du maire de La Faute-sur-Mer, le cabinet Seban est de toutes les affaires emblématiques des collectivités.
Sa force, il dit la devoir à ceux qui l’entourent. Eux préfèrent parler d’une « bête de travail », qui « lit tout et tout le temps » et « sait être à l’écoute ». Didier Seban est en effet l’une des rares personnes qui ne regarde ni sa montre, ni son téléphone quand il vous reçoit. Pourtant, il est très connecté. « Il sait s’entourer des bonnes personnes, capte avec un temps d’avance ce qui se passe », décrit Fabien Tastet, qui apprécie que son avocat comprenne « l’effervescence et la créativité du monde local ».
Duo médiatique
En 2001, il fait la rencontre de celle qui donnera un nouveau tournant à sa carrière d’homme de loi : Corinne Herrmann. Le dossier des disparues de l’Yonne sous le bras, cette future avocate le convainc de s’intéresser à la disparition de ces jeunes femmes handicapées.
De leur collaboration naîtra très vite le duo médiatique des « cold cases » à la française. A cette appellation, Didier Seban préfère celle « d’enfants disparus, d’adolescentes assassinées ou de femmes éventrées dans l’indifférence générale », explique-t-il dans son livre (1), rappelant que ces affaires sont aussi celles du mépris « social, institutionnel et judiciaire ».
Dans les dossiers du tandem, on croise Emile Louis, Michel Fourniret et Jacques Rançon. Depuis vingt ans, il fonctionne selon un mode opératoire rodé : Corinne Herrmann analyse les procédures, rédige les mémoires ; Didier Seban plaide. Avec les mots comme arme, l’avocat est redoutable à la barre. Face à Michel Fourniret, en 2008, il lui demande s’il a pris du plaisir « à tripoter une fille morte ». L’Ogre des Ardennes est déstabilisé, l’avocat l’a mis K.-O.
Douze ans plus tard, Michel Fourniret avouera l’enlèvement et le meurtre d’Estelle Mouzin, cette fillette disparue depuis 2005 et dont Didier Seban représentait la famille. Sans facturer ses heures.
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Notes
Note 01 « Nous, avocats des oubliés. Sur la piste des crimes non résolus », Editions JC Lattès, 2020. Retour au texte