Les collectivités et associations ont validé, en 2020, 132 thèses « convention industrielle de formation par la recherche », Cifre (*), de trois ans, alors qu’on n’en dénombrait que 56 en 2016. C’est encore peu. Paris en compte cinq à dix par an, Lyon, sept… La Cifre semble être l’apanage des grandes collectivités.
« Car elle a été conçue dans les années 80 pour les entreprises, que bon nombre de collectivités sont éloignées des laboratoires et universités et que le cadre d’emplois est parfois bloquant », explique Paul Gallet, chargé de mission « 1 000 doctorants pour les territoires » à Hautes études Sorbonne arts et métiers (Hesam), qui fait connaître le dispositif aux étudiants en sciences humaines et sociales (SHS) et aux collectivités.
Un besoin à identifier
Geoffrey Volat, qui a terminé une thèse avec Clermont Auvergne métropole (21 communes, 1 600 agents, 294 100 hab.) et l’université Clermont Auvergne, évoque, lui, « un manque de culture scientifique dans les collectivités ». Première phase de recrutement d’un doctorant en Cifre, la collectivité identifie son besoin. « Ici, une étudiante en architecture travaille à l’aménagement des espaces scolaires ; là, une doctorante réalise une thèse “Philosopher avec les enfants”, tout en animant une maison de philosophie », illustre Paul Gallet. Sujet de la thèse de Geoffrey Volat souhaité par sa collectivité d’accueil : la coconstruction des politiques publiques avec les acteurs de l’économie sociale et solidaire. Ensuite, l’employeur territorial dépose une offre, cherche un labo, reçoit une candidature ; de son côté, le doctorant fait jouer son réseau. La plateforme « 1 000 doctorants.hesam.eu » facilite la recherche de tous, mais en SHS uniquement.
Puis, les trois parties complètent le dossier, avec une lettre d’engagement de la collectivité, le projet de recherche précisant la présence du doctorant en labo (50 % du temps) et en collectivité (50 %), les tâches à effectuer, les livrables à produire, etc. Le dossier est déposé à l’Association nationale recherche technologie (ANRT) qui gère les Cifre, éventuellement à travers l’Hesam pour avis. A la clé et par an, une subvention de 14 000 euros de l’ANRT. Le salaire brut annuel non chargé minimum pour un Cifre étant de 23 484 euros, la collectivité verse la différence. Elle peut aller au-delà, « même si, dans la majorité des cas, elles s’en tiennent au salaire minimum », d’après Paul Gallet.
Le bénéfice des innovations
Des cofinancements (département, Europe, Agence nationale de la cohésion des territoires…) sont possibles. Le délai de recrutement d’un doctorant en Cifre est de six à dix mois pour une collectivité en recherche, un délai qui monte parfois jusqu’à deux ans quand la démarche vient de l’étudiant. L’encadrement du doctorant est double : collectivité et laboratoire. « Ce n’est pas un effort, c’est la mission naturelle du chef de service, selon Jean-Luc Delpeuch, président de la communauté de communes du Clunisois [42 communes, 78 agents, 13 900 hab., Saône-et-Loire]. Le thésard fait bénéficier des innovations de sa recherche. » « Mon tuteur, chargé de mission “ESS”, m’a facilité les études de cas et mis en relation, apprécie Geoffrey Volat. Il a questionné sa pratique, s’est intéressé à mes productions. »
Les doctorants en Cifre continuent parfois dans le laboratoire ou la collectivité, ou dans les deux, comme Geoffrey Volat, embauché en juin comme directeur du Centre d’innovations sociales Clermont Auvergne, coprésidé par l’agglomération et l’université.
« Mes conditions de travail sont propices à la recherche »
Chloé Morhain,doctorante en Cifre à la métropole de Lyon (59 communes, 9 200 agents, 1,40 million d’hab.)
« Mon Cifre sur les politiques métropolitaines à destination des étudiants en matière de mobilité et logement se déroule de mars 2019 à septembre 2022. J’ai proposé le sujet à une technicienne de la métropole dont la direction a validé la demande, avant que les élus et services RH ne fassent de même. Entretemps, il s’était écoulé deux ans, j’allais me retirer…
Mon travail se fait à mi-temps à la métropole et à mi-temps au laboratoire “aménagement, économie et transports” de l’Ecole nationale des travaux publics de l’Etat. Ma tutrice à la métropole n’a pas autorité sur ma production scientifique mais m’aide à comprendre l’institution, à faire du réseau en interne, dans mes relations avec les élus. Mes conditions de travail sont propices à la recherche.
En cours de Cifre, Hesam [Hautes études Sorbonne arts et métiers] m’a aidée à intégrer le réseau des Cifre, à monter des projets, à valoriser mes travaux. Je touche le “Smic minimum Cifre”, soit 1 500 euros nets, c’est le bémol… »
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