A partir de son expérience de terrain, Victor Grezes, cofondateur, président et associé du cabinet de conseil Convivencia, estime qu’il faut arrêter d’instrumentaliser politiquement les sujets autour de la laïcité pour revenir au droit et à l’histoire, méthode la plus amène pour atteindre une meilleure compréhension des subtilités de cette particularité française. En 2015, face à une grande demande de la part des entreprises de se faire accompagner, à la suite des attentats et d’une tension sociale grandissante sur ces sujets, il crée, avec son associé Samuel Grzybowski, fondateur du mouvement Coexister, le cabinet Convivencia et, par la même occasion, un métier qui n’existait pas jusque-là : consultant en fait religieux. Aujourd’hui, dans des entreprises privées telles Michelin, Total, Decathlon, Orange…, leur réputation n’est plus à faire. Ils ont également investi le champ de la sphère publique en travaillant pour de nombreux ministères, parmi lesquels celui de la Justice, et dans des collectivités territoriales comme la ville de Chambéry qu’ils accompagnent dans l’installation d’un conseil de la laïcité. L’entreprise sociale s’est depuis peu donné un nouveau défi : favoriser l’inclusion dans le monde du travail et des collectivités. L’occasion de comprendre comment ce nouveau paradigme, loin de se limiter aux personnes à mobilité réduite, pourrait bouleverser la fabrique des politiques publiques au niveau local.
Comment formez-vous à la laïcité ?
Qu’il s’agisse de salariés du privé ou d’agents publics, il n’y a qu’une seule façon de faire qui fonctionne : repartir du droit et de l’histoire. Il faut comprendre comment s’est créé le cadre de la laïcité et savoir d’où il vient car la laïcité est une construction dans le temps. Ce n’est qu’avec cette compréhension que l’on peut savoir ce qu’elle est aujourd’hui et appréhender ses exceptions et ses subtilités. Une grosse partie du temps des formations à la laïcité que nous délivrons, c’est justement d’expliquer ces exceptions à la lumière de l’histoire et des textes juridiques. Par exemple, présenter le régime de l’Alsace-Moselle, ou dire pourquoi les édifices religieux bâtis avant 1905 sont entretenus par les collectivités…
Il faut rappeler que jusqu’en 1905, soit pendant 2 000 ans, la religion c’était l’Etat. Et, du jour au lendemain, la loi en a fait des corps séparés qui ne doivent pas s’influencer l’un l’autre. Forcément, cette relation n’est pas simple et c’est en rappelant son évolution que les personnes comprennent les règles applicables aujourd’hui. On peut ensuite passer aux cas pratiques. L’occasion pour les agents de relayer des situations auxquelles ils ont été confrontés ou auxquelles ils appréhendent de l’être. Je pense à la question du port de signes religieux ostensibles ou de demandes de non-mixité de la part d’usagers du service public. Les agents – et même les élus ! – sont parfois perdus en matière de laïcité. Pendant de nombreuses années, ils ont dû faire sans outils car ils n’étaient pas formés. Ils sont nombreux, à la sortie de la formation, à nous dire que celle-ci devrait être obligatoire.
La formation mais aussi la présence de référents sont-ils de bons outils pour infuser une culture de la laïcité au sein des collectivités ?
La formation est nécessaire mais pas suffisante. La laïcité n’est pas comprise par grand monde, y compris par ceux qui devraient l’appliquer ou la faire connaître. La formation à la laïcité est donc nécessaire. L’Observatoire de la laïcité y contribuait grandement puisque son travail était surtout celui de la pédagogie et de la vulgarisation. En matière de laïcité, il faut savoir être simple sans être simpliste. Mais ce n’est pas suffisant car la laïcité, ce n’est pas qu’une question de formation, c’est aussi une question d’incarnation. Donc il faut aussi que l’Etat et les politiques publiques soient le reflet de la laïcité.
Sur la question des référents, je serai plus mitigé. Le prérequis doit être l’absence d’idéologie pour ces référents. Or, comme c’est du volontariat, ces personnes ont souvent un avis tranché sur la question puisqu’ils s’y intéressent. Il faudrait donc mieux les encadrer.
Vous défendez l’inclusion. Comprenez-vous qu’en France on l’associe souvent à la segmentation de la société ?
On essaye de faire rentrer ce qui relève de l’inclusion dans les débats politiques sur l’intersectionnalité, le multiculturalisme… C’est de la démagogie. L’inclusion consiste à mettre en place des politiques pour que des individus différents soient culturellement et socialement acceptés, valorisés et respectés de manière égale. Il ne s’agit pas de segmenter la population dans des cases (musulmans, homosexuels…). Mais au contraire casser les barrières et le repli communautaire qui se créent lorsque les gens se considèrent attaqués, en danger, pas respectés. L’inclusion a des effets bénéfiques à tous les niveaux (attractivité des talents, qualité de services, créativité, meilleure image…). Des études montrent que les entreprises inclusives ont 60 % de chances supplémentaires d’engager des talents dans la durée. Et plus les équipes sont le reflet du public plus elles sont capables de comprendre ses besoins et d’y apporter des réponses adaptées.
De quelle manière peut-on être inclusif dans les collectivités ?
Il faut avoir une réflexion sur la ville et sur son rôle, qui n’est pas le même que par le passé. Aujourd’hui, plus de la moitié de la population française vit dans une grande ville. Rendre la ville inclusive c’est questionner sa capacité à répondre aux besoins de toutes les personnes qui vivent sur son territoire y compris celles, fragilisées, qui ont besoin d’une attention spécifique.
Pour cela, il faut arrêter de segmenter les politiques publiques et les décloisonner et avoir une réflexion globale sur l’imbrication des projets pour voir comment une politique publique peut répondre aux défis et besoins des différentes catégories de population. C’est à la fois la question des infrastructures, les services que l’on y propose, les politiques que l’on met en place et comment les communautés évoluent dans cet espace, souvent très dense et petit. Pour que la ville devienne inclusive, il y a cinq grands défis à relever d’ordre social, culturel, environnemental, économique et de résilience.
C’est également un enjeu de lutte contre les discriminations dans les collectivités. Pour agir, il faut commencer par faire un état des lieux de la qualité de l’inclusion à l’échelle de la collectivité (rapport des citoyens entre eux) et de ses services RH (qualité des relations de travail). Nous proposons de le faire par une enquête d’opinion. Cela permet d’identifier ce qui fonctionne et les leviers à actionner (LGBT, intergénérationnel, relations femmes-hommes) et d’évaluer les résultats.
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