En plus de mettre en lumière l’ampleur des violences sexuelles à l’encontre des enfants, la commission sur l’inceste et la commission Sauvé (1) soulignent en creux le défaut de repérage et de prise en charge des victimes. Une mission impartie à la Protection de l’enfance. Selon la loi du 14 mars 2016, il lui revient d’organiser le « repérage » et le « traitement des situations de danger ou de risque de danger pour l’enfant ainsi que les décisions administratives et judiciaires prises pour sa protection ». Ce qui exige la formation commune de tous les professionnels concernés, travailleurs sociaux, enseignants, professionnels de santé, animateurs, etc. Mais dès 2017, la démarche de consensus sur « les besoins fondamentaux de l’enfant en protection de l’enfance », conduite par Marie-Paule Martin-Blachais, mettait en évidence « la faible application » des dispositifs de formation et « le manque de connaissances partagées en ce domaine ».
Insuffisance du travail collectif
Ce n’est pas la seule faille dans le système. « Depuis la loi de 2016, les équipes tentent de changer de paradigme : il ne s’agit plus seulement, pour la protection de l’enfance, de repérer les défaillances parentales, mais plutôt de se centrer sur l’enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, et de mieux identifier les manifestations de souffrance, même chez les tout petits », pointe Anne Devreese, directrice générale adjointe déléguée enfance, famille, jeunesse du conseil départemental du Nord, qui a piloté la préparation et la rédaction de la loi de 2016.
Du côté des professionnels, y compris des travailleurs sociaux, c’est aussi, selon les experts, la méconnaissance des psycho-traumatismes subis par les enfants et de leurs effets délétères, ainsi que l’insuffisance du travail collectif, pluri-institutionnel, sur ces signaux d’alerte et, par la suite, lors de la prise en charge, qui font défaut. D’où la nécessite de développer « la formation initiale et continue, pas seulement sectorielle, mais aussi transversale et pluridisciplinaire, pour que tous aient le même bagage », souligne Marie-Paule Martin-Blachais. Cela facilite ensuite les échanges sur les situations.
Théorie de l’attachement
Précurseure dans ce domaine, Martine Nisse, directrice du Centre des Buttes Chaumont (Paris), forme depuis longtemps les travailleurs sociaux et tous les professionnels concernés. Il s’agit de battre en brèche les idées reçues sur « l’enfant pervers polymorphe qui déclenche le geste de l’adulte » et d’expliquer ce qui est méconnu : les souffrances des enfants incestés, victimes vulnérables sous l’emprise de leur agresseur, les symptômes post-traumatiques, ou encore les raisons du silence des victimes. « C’est une règle fondamentale quand l’inceste n’est pas interdit : il est interdit de parler. En général, cela passe par des menaces verbales, or l’enfant ne fait pas de différence entre la menace et l’exécution de la menace », indique Martine Nisse.
La psychiatre Anne Raynaud, directrice de l’Institut de la parentalité (Bordeaux) qui organise des formations basées sur la théorie de l’attachement, insiste sur « la connaissance des besoins fondamentaux des enfants, en particulier du méta-besoin de sécurité émotionnelle qui est la condition première de son développement ». C’est pourquoi « un enfant qui se sent menacé, en insécurité, se met en retrait, ou devient agressif, ou encore évolue vers la psychopathologie », décrit-elle.
Former à la prise en charge
Cette meilleure connaissance des victimes de violences sexuelles permet de faire évoluer la posture des professionnels, de même qu’un travail sur eux-mêmes : « Ont-ils été exposés à… ? Témoins de… ? », questionne Martine Nisse. Elle les amène aussi à mieux détecter les victimes, en appréhendant la complexité des signaux d’alerte. « Un enfant révèle une situation d’inceste par des attitudes, des symptômes, des dessins… C’est dit de façon paradoxale », souligne-t-elle. Encore faut-il, pour qu’ils s’expriment, que « les enfants se sentent compris, dans une relation de confiance, un environnement sécurisé », ce qui est aussi l’objet de la formation, indique Anne Raynaud.
L’enjeu est aussi de former à la prise en charge de l’enfant victime. Le Centre des Buttes Chaumont a innové en créant la « thérapie familiale de réseau » : « Nous invitons les travailleurs sociaux, psychologues, etc., dans la thérapie familiale, pour améliorer la compréhension et la communication dans le réseau de professionnels. » D’autres structures de soin, à Paris, telles que l’Institut d’études systémiques, dirigé par Jean-Paul Mugnier, ou encore l’Institut de victimologie et son centre du psychotrauma, ont mis en place des formations sur-mesure pour tous les professionnels impliqués dans le repérage et la prise en charge des victimes.
Thèmes abordés
Notes
Note 01 Commission sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (civise) et Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (ciase). Retour au texte