« Depuis des années, la fiabilité des données sur les logements vacants est un vrai souci, notamment celles concernant la vacance de plus de deux ans, dite structurelle », pointe Nelly Mongeois, directrice de l’habitat et de la rénovation urbaine à la métropole du Grand Nancy (20 communes, 257 400 hab.). Jusque très récemment, les données étaient parcellaires et difficiles à obtenir.
D’ordre fiscal, elles provenaient essentiellement du fichier 1 767-Biscom, que les collectivités devaient réclamer aux directions départementales des finances publiques et attendre parfois plusieurs mois. Ces données éclairaient, certes, sur la durée de la vacance, mais ne livraient pas d’éléments sur la typologie du lieu, son niveau de confort (présence de sanitaires ou de salle de bains), le profil des propriétaires.
Données cartographiées
Créé en 2016 et présidé par l’eurométropole de Strasbourg, le RNCLV a sensibilisé le ministère du Logement à cette problématique et, en 2019, la Dhup (Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages) s’en est saisie. En partenariat avec le Cerema, elle a élaboré un nouveau fichier – Lovac –, en croisant les fichiers fiscaux et fonciers, afin de mieux qualifier le parc vacant. Deux millésimes ont déjà été produits : 2019 (fixant la vacance au 1er janvier 2018) et 2020 (au 1er janvier 2019). Ces données sont représentées sous forme de tableur ou de cartographie, pour en faciliter la compréhension.
Le ministère du Logement ayant été assailli de demandes, provenant principalement de collectivités, il a créé un service de diffusion de Lovac, accessible depuis le site du Cerema. « C’est une vraie plus-value pour nous. Auparavant, accéder à ces données protégées était très difficile », témoigne Camille Moreau, cheffe de projet « parc privé » à Bordeaux métropole (28 communes, 801 000 hab.). L’interco a été lauréate de l’appel à manifestations d’intérêts lancé en janvier 2021 dans le cadre du Plan national de lutte contre les logements vacants. Les résultats sont tombés en avril : 68 collectivités lauréates et 229 « éligibles ». Toutes celles qui sont éligibles ont désormais accès au fichier Lovac. Mais les données sont encore susceptibles d’être améliorées.
A Roubaix (98 100 hab., Nord), la lutte contre les logements vacants faisait partie des engagements de la campagne de l’équipe municipale. La ville a donc créé un service dédié avec trois équivalents – temps plein. Une enquête menée sur le terrain a permis d’établir que sur les 1 415 logements vacants structurels identifiés par Lovac, seuls 78 % l’étaient véritablement. « Nous sommes à l’écoute des collectivités pour faire évoluer et améliorer les données », assure-t-on au ministère. Où l’on espère que, à la suite de la suppression de la taxe d’habitation, l’obligation déclarative sur l’interface « Gérer mes biens immobiliers » des impôts permettrait d’affiner encore les données.
Solution numérique
Une fois la vacance cernée et qualifiée, il faut se rapprocher des propriétaires afin de les inciter à remettre leur logement sur le marché. Là aussi, la Dhup a été d’un soutien précieux en développant la solution numérique ZLV, expérimentée actuellement par 30 collectivités et par 27 autres d’ici à la fin 2021. Son gros avantage est de permettre le suivi de la vacance et d’intégrer les données de Lovac à des outils de démarchage. « ZLV permet de sortir des fichiers de publipostage tout prêts ! » se réjouit Karine Deligne, cheffe de projet « habitat-logement vacant » et coordinatrice de RNCLV à l’eurométropole de Strasbourg (33 communes, 500 500 hab.). « Grâce au soutien de la Dhup, nous simplifions les courriers et joignons une enveloppe T. Ce sont des petits détails qui permettent d’améliorer le taux de retour », ajoute Nelly Mongeois.
A Roubaix, au Grand Nancy et à Bordeaux, il avoisine les 20 %. Les courriers sensibilisent les propriétaires aux effets néfastes de la vacance et les informent des aides existantes pour la rénovation, notamment celles de l’Anah. « Nous essayons d’abord de comprendre les raisons de la vacance, puis d’apporter des solutions incitatives. Nous proposons un soutien au montage des dossiers de l’Anah. S’il y a une succession complexe, nous offrons alors un accompagnement juridique », explique Philippe Stephan, conseiller municipal délégué aux logements du parc privé à Roubaix.
Pour rassurer les propriétaires ayant vécu une relation locative difficile, l’eurométropole de Strasbourg a créé, en 2020, la plateforme d’intermédiation locative « fac’il ». « Elle est financée dans le cadre du “logement d’abord” et nous permet de loger des personnes relevant de ce plan. Il faut décloisonner les politiques », observe Karine Deligne. D’ailleurs, l’interco sensibilise les bailleurs privés à conventionner avec l’Anah, ce qui apporte davantage de financements et une défiscalisation. En contrepartie, ils s’engagent à pratiquer des loyers modérés. A Strasbourg, la vacance structurelle n’est pas très importante, de l’ordre de 1,3 %, mais en essayant d’y remédier, la métropole contribue à la rénovation énergétique ou à l’atteinte de l’objectif zéro artificialisation des sols. « Il ne faut pas réfléchir en silo », insiste Karine Deligne.
Mesures coercitives
La plupart des communes ou intercos proposent des aides en complément de celles de l’Anah. Mais les résultats sont hélas maigres. Au Grand Nancy, par exemple, sur 797 courriers envoyés, il y a eu 212 retours (28 %). Concrètement, seuls 15 propriétaires ont souhaité s’engager dans une démarche visant à remettre leur logement sur le marché. « On ne peut pas les forcer », regrette Nelly Mongeois.
Pourtant, la collectivité a mis en place une taxe sur la vacance. Mais les propriétaires préfèrent s’en acquitter plutôt que louer. La CAPBP (31 communes, 162 000 hab.) recourt également à des mesures coercitives. Souffrant d’une vacance structurelle à Pau de l’ordre de 4,8 % (et de 3,7 % sur le reste du territoire), l’agglo s’est engagée dans une politique d’aide aux propriétaires. Dans le cadre d’une opération programmée d’amélioration de l’habitat – rénovation urbaine, qui vise la rénovation de 400 logements d’ici à 2025 –, la CAPBP a prévu de mobiliser 300 000 euros par an en complément des financements de l’Anah. « Nous souffrons d’une perte démographique dans la ville-centre et souhaitons faire revenir les familles », précise Dominique Lasserre, cheffe de projet « habitat parc privé ».
Cependant, la CAPBP a également décidé d’attribuer à la Siab une concession d’aménagement relative à la revitalisation du centre-ville de Pau pour réhabiliter 900 logements sur dix ans. « La Siab a pour but d’identifier les biens vacants dégradés. Elle peut les préempter si les propriétaires refusent de faire les travaux nécessaires. La concession d’aménagement est un outil fort », estime Dominique Lasserre.
« Des rues se vident et il y a des problèmes de sécurité publique »
Emmanuelle Bianchini, directrice d’études, responsable du pôle « habitat et société » à l’Agence d’urbanisme d’agglomérations de Moselle
« Derrière la vacance des logements, il y a des façades dégradées, de l’habitat défraîchi, des copropriétés fragilisées. Il y a des rues qui se vident progressivement, des problèmes de sécurité publique et la perte d’attractivité d’un territoire. Résorber cette vacance est un travail de longue haleine, pédagogique, de persuasion. Il nécessite de rencontrer les propriétaires, de comprendre les raisons qui les amènent à laisser vide leur logement et de leur proposer de l’aide. Certaines collectivités prennent des mesures pénalisantes. Il faut faire un mix intelligent entre moyens incitatifs et coercitifs. »
« Nos plus grosses difficultés se concentrent sur le bâti diffus »
Jocelyne Richard, vice-présidente de la communauté d’agglomération de Saint-Lô agglo (61 communes, 76 000 hab., Manche), chargée de l’habitat et du foncier
« Nous avons environ 1 000 logements vacants depuis plus de deux ans, soit 2,6 % du parc privé. Notre objectif est de remettre 350 logements sur le marché d’ici à 2025. On y consacre 453 000 d’euros par an, en complément aux aides de l’Anah. Nous avons envoyé 700 courriers dans lesquels nous essayons de sensibiliser les propriétaires sur un phénomène qui pénalise tout le monde. Nous avons eu 38 % de retours.
Nous avons même des mesures de rétorsion avec une taxe supplémentaire. Nos plus grosses difficultés se concentrent sur le bâti diffus. Les aides de l’Anah et d’Action cœur de ville sont toutes concentrées sur les centres-bourgs et visent à éviter l’étalement urbain. Or, chez nous, il existe des bâtis en diffus et de bonne qualité, situés dans un joli bocage. On doit faire avec cet héritage. Mais ce ne sont pas des projets que l’Anah priorise. De plus, en milieu rural, nous manquons cruellement des moyens d’ingénierie. »
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