Le service public territorial de 2030 portera assurément l’empreinte de la réforme de la fonction publique de 2019. Laquelle devrait être nettement visible au sein du code de la Fonction publique, en cours d’élaboration. Même s’il ne va pas révolutionner le service public territorial en soi, il apportera de la « lisibilité » pour les élus et les agents, estime Clémence Lapuelle, avocate en droit public et administratif. Cela constituera une avancée majeure, selon elle, tant il est devenu difficile de se retrouver dans ce droit « obèse » et réparti entre nombre de lois, circulaires et directives.
Pour les agents contractuels en revanche, la tâche reste complexe. L’augmentation de la proportion d’agents non titulaires de la Fonction publique crée de fait des disparités entre ces deux « catégories » d’agents, ajoute l’avocate. Même si la loi du 6 août 2019 a introduit le dispositif de la rupture conventionnelle pour les fonctionnaires, ce qui pose selon elle la question de la continuité du service public, ils sont régis par une réglementation totalement différente. Entre agents relevant du public et d’autres du privé, «il faut voir comment ces deux sphères vont s’apprivoiser » et dialoguer, souligne Clémence Lapuelle.
Loi à combattre
Pour Anicet Le Pors, ancien ministre de a Fonction publique et à l’origine de la loi de 1983 sur le statut général des fonctionnaires, la loi de 2019 est à «combattre» car elle introduit une conception de la Fonction publique qui est « autoritaire puisque les politiques mises en œuvre le seront par une ligne directrice de gestion » et qui « convient tout à fait au marché ». Il lui reproche notamment d’avoir « pratiquement annihilé » les organismes traditionnels de consultation des représentants des personnels.
Pour Irène Gaillard, maître de conférences en éducation ergonomie à l’université de Toulouse, cependant, « la loi (de 2019, NDLR) donne des marges de manœuvre », par exemple dans les procédures de recrutement. Selon elle, quels que soient les statuts, il faut privilégier la réflexion sur le sens du travail et celui du service public, afin de maintenir la motivation des agents. La polyvalence des agents, par exemple, ne doit pas être une « polyvalence par défaut » mais au service de leur développement professionnel et de leurs missions auprès du public. Clémence Lapuelle plaide d’ailleurs pour une meilleure utilisation des fiches de postes, dans lesquelles les possibilités d’évolutions devraient selon elle être davantage évoquées.
Adrien Czako, consultant et directeur du cabinet Willing, à Toulouse, considère pour sa part que le recours aux contractuels favorisé par la loi de 2019 est une « tentative de réponse pour permettre aux collectivités d’avoir plus de fluidité et de souplesse pour attirer de la compétence » qu’elles peinent à trouver en interne, par exemple dans le domaine numérique. Mais cela ne fonctionnera que si le cadre contractuel proposé est suffisamment attractif. Et si les conditions d’une participation active des agents dans la réflexion sur les services publics rendus sont créées, a ajouté Laurent Rey, consultant en pratiques managériales et sociétales, afin de nourrir le sens au travail.
Dignité du fonctionnaire territorial
Ce sens a parfois été mis à mal par les transferts de compétences entre types de collectivités, les fusions, par exemple entre régions, ou la création de nouveaux EPCI. Ils ont été parfois réalisés « à marche forcée » selon Adrien Czako. Tous ne sont pas encore forcément « digérés » et d’ici 2030, de tels changements peuvent encore survenir.
Autre tendance d’évolution majeure : la digitalisation des services publics impacte très fortement la FPT, en termes d’attentes des citoyens comme de compétences des agents. Avec, potentiellement un risque d’aboutir à « deux vitesses » entre les collectivités plus ou moins dotées dans ce domaine. Enfin, la certification des finances locales « va pousser les collectivités à se transformer », a souligné Adrien Czako. Cette évolution vers une « culture du contrôle » va les conduire à se pencher encore plus selon lui sur « les compétences, les organisations, la structuration des fonctions de contrôle interne et la maîtrise des risques, qui sont aujourd’hui à l’état embryonnaire ». Comme l’a rappelé ce consultant, « 90 % des métiers de 2030 ne sont toujours pas créés » et la formation des agents constitue donc un enjeu majeur.
Sabine Geil Gomez, présidente du CDG31, s’est montrée optimiste : « je crois que nos agents sont très compétents. Ils sont agiles, capables de se remettre en cause et de s’adapter pour peu qu’on crée les conditions. Faisons confiance à nos agents ! ». Il ne fait pas de doutes pour Anicet Le Pors qu’il faut aller encore plus loin et « rétablir cette dignité du fonctionnaire territoriale que les politiques régressives ont entamée ».
Le regard sur les agents du service public : privilégiés, plutôt compétents mais peu rapides (Sondage Ifop pour Cartegrise.com, octobre 2021)
- Les 2/3 des Français (65 %) estiment que les agents du service public sont privilégiés,
- Compétents pour 55 % des personnes interrogées, ils sont en revanche jugés travailleurs par moins de la moitié des répondants (46 %) et soucieux de l’intérêt général par seulement 42 % d’entre eux,
- Souvent décriées, les lenteurs administratives sont confirmées par les Français qui ne sont qu’un quart (24 %) à juger que le qualificatif « rapides » s’applique bien aux agents du service public.
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