Et si la fiscalité locale disparaissait… Après la suppression de la taxe d’habitation (TH) et la réduction des impôts dits « de production », les élus locaux s’inquiètent de voir fondre comme neige au soleil leur fiscalité avec pouvoir de taux. Selon Philippe Laurent, le maire (UDI) de Sceaux (19 600 hab., Hauts-de-Seine) et secrétaire général de l’Association des maires de France, Emmanuel Macron en porte une grande responsabilité. « Il ne croit pas à l’efficacité pour l’action publique de la décentralisation. Sa philosophie a rejoint celle néolibérale de la haute fonction publique. Nous sommes face à un point de bascule où l’autonomie fiscale et financière des collectivités est en train d’être détruite. »
Divorce entre l’exécutif et les élus
Un constat partagé par l’ex-membre (PS) de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Jean-Pierre Balligand. « Autant, au niveau des dotations, la période “Macron” n’a pas été aussi catastrophique que la période “Hollande”, qui s’était traduite par une baisse de 11 milliards d’euros des concours financiers de l’Etat aux collectivités, autant, au niveau de la perte de l’autonomie fiscale, on ne peut pas en dire de même. »
Ce divorce entre l’exécutif et les élus locaux a pour origine la suppression totale de la TH sur les résidences principales. Durant sa campagne présidentielle, le futur chef de l’Etat songeait à exonérer 80 % des Français de cet impôt tout en le conservant pour les plus aisés. Seulement, en 2017, le Conseil constitutionnel l’a mis en garde, au nom du principe d’égalité de tous devant l’impôt.
Pour ne pas renier sa promesse, le président de la République a donc opté, lors de la loi de finances pour 2020, pour la suppression totale et l’absence de nouvelle imposition locale pour la remplacer. Un casus belli pour les maires qui marquera le début des relations orageuses entre Emmanuel Macron et les collectivités territoriales. Selon le cabinet KPMG, cette réforme aura eu pour effet de faire passer de 54 % à 35 % l’autonomie fiscale des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et de réduire à néant celle des départements qui ont abandonné leur impôt local pour l’affectation d’une part de TVA.
Le chiffre
43 % de la fiscalité est à pouvoir de taux après la suppression de la taxe d’habitation et la baisse des impôts de production (contre 60 % auparavant), selon La Banque postale.
Face à la hausse des dépenses sociales, en particulier de RSA (+ 7,3 % en 2020) à cause de la crise du Covid-19, cette perte de levier fiscal pourrait entraîner, « dans des délais rapprochés, la mise sous tutelle d’un certain nombre de départements », affirme Jean-René Lecerf, le président (DVD) du conseil départemental du Nord et de la commission des finances de l’Assemblée des départements de France (ADF). Au niveau des communes, c’est la réduction du nombre de contribuables payant l’impôt local qui préoccupe les maires. « On va avoir 50 % environ des contribuables de Nice qui ne seront plus imposables localement. Cette perte de lien entre le citoyen et la collectivité dans laquelle il vit et qui lui fournit des services va forcément avoir des conséquences », avertit Philippe Pradal, maire adjoint (LR) délégué aux finances de Nice (341 000 hab.).
Et même si le gouvernement a garanti des compensations à l’euro près, les édiles n’oublient pas la fâcheuse tendance de l’Etat à revenir sur ce type de promesses. D’autant plus que les collectivités ayant augmenté leur taux de TH entre 2017 et 2019 n’ont pas été compensées. « A Sceaux, c’est 800 000 euros de pertes chaque année », précise le maire.
Un processus d’érosion
Dans le cadre de la loi de finances pour 2021, le gouvernement a réduit de 10 milliards d’euros les impôts de production. En faisant de la taxe foncière sur les propriétés bâties désormais l’impôt-pivot pour les communes et leurs groupements, l’exécutif pourrait rendre la dernière grande taxe à pouvoir de taux de plus en plus impopulaire auprès des propriétaires. Surtout que ses valeurs locatives, qui ne seront pas réformées avant 2026, sont inchangées depuis le 1er janvier 1970 et ne reflètent donc plus du tout la réalité du marché. « On aurait pu faire cette réforme bien avant car elle est pratiquement prête. Ce qui me fait dire que le foncier est menacé dans les années à venir », redoute Philippe Laurent, qui prédit une augmentation moyenne de 10 % de la taxe foncière sur le mandat en cours pour faire face à la crise.
Emmanuel Macron n’a jamais caché son peu d’intérêt pour l’autonomie fiscale, qu’il considère comme un combat d’arrière-garde au regard de plusieurs exemples européens où l’absence de fiscalité propre n’empêche pas les collectivités d’être puissantes. Il défend une décentralisation dotée de la seule autonomie financière, déjà définie par l’article 72 de la Constitution et confirmée par le Conseil constitutionnel en 2009. Lors de son discours d’ouverture du Congrès des maires de 2019, il étrillait « un fétichisme français […] qui a un problème : il n’y a jamais de fiscalité qui correspond à la bonne compétence, donc il y aura toujours de l’illisibilité et de la péréquation ».
Une vision que ne partage pas Michel Bouvier, président de Fondafip (le think tank des finances publiques), pour qui « il n’y a pas de vrai pouvoir politique sans pouvoir fiscal ». « Nous devenons les sous-traitants de l’Etat avec le basculement sur des dotations, dont une partie est indexée sur le produit d’impôts nationaux. On est à la merci du gouvernement qui peut modifier nos dotations et compensations en loi de finances », regrette Philippe Laurent.
Mais ce processus d’érosion et de recentralisation de la fiscalité locale a commencé dès 1982 avec la réduction de la part « salaire » de la base de la taxe professionnelle. Jean-Pierre Balligand estime que « c’est la pensée dominante de Bercy qui l’a emporté. La haute administration française considère que l’autonomie fiscale locale n’est pas souhaitable car les élus locaux ne savent pas gérer les finances publiques ».
Dates clés
2021 : Réduction de 10 milliards d’euros des impôts de production, en supprimant la part régionale de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) tout en baissant la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) et la cotisation foncière des entreprises (CFE) sur les entreprises industrielles.
2020 : Suppression de la taxe d’habitation (TH) avec transfert de la TFPB des départements aux communes. Les EPCI et les départements récupèrent une fraction de TVA.
2010 : Suppression de la taxe professionnelle, remplacée par la contribution économique territoriale (CET) : CFE + CVAE.
1999 : Suppression de la part « salaire » de la taxe professionnelle, remplacée par une dotation de l’Etat. Suppression de la part régionale de TH.
Un retour du jacobinisme et une usure de notre système fiscal qui devrait pousser les élus locaux et l’Etat à réinventer le modèle. « Il faut arrêter de raisonner en silo et de penser séparément les finances de l’Etat, de la Sécurité sociale et des collectivités. Redéfinissons le processus de décisions en créant une institution inscrite dans la Constitution qui regroupe les acteurs concernés et qui permet de prendre des décisions de façon conjointe », propose Michel Bouvier. Un changement culturel de plus en plus délicat à mettre en place.
« Certains impôts présentaient trop d’imperfections »
Luc Alain Vervisch, directeur des études de La Banque postale
« L’érosion de la fiscalité locale a des raisons techniques. Certains impôts présentaient trop d’inconvénients et d’imperfections pour pouvoir être laissés dans l’état initial, d’où le choix de l’Etat de diminuer la pression fiscale en réduisant soit leur assiette, soit le nombre de collectivités bénéficiaires. A la fin des années 2000, les impôts locaux ont aussi été pour l’Etat de bonnes “victimes” dans sa recherche de compétitivité et de gains de pouvoir d’achat. Je ne suis, donc, pas convaincu que le levier fiscal pourra être utilisé comme pendant les trente premières années de la décentralisation. Mais si l’on cherche à recréer un lien fiscal avec l’usager, on pourrait imaginer une taxe additionnelle sur le revenu, un impôt de service payé par le propriétaire et récupérable au titre des charges locatives, ou une taxation de la mobilité pour donner des marges d’adaptation aux collectivités. »
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Autonomie financière et fiscale des collectivités : l'exemple européen
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