Tribune de Joëlle Martinaux, présidente de l’UNCCAS
« Abroger l’obligation de réalisation annuelle d’une analyse des besoins sociaux par les centres communaux d’action sociale ». Telle est la grande ambition de l’Etat pour les territoires ruraux… En une phrase, le Comité interministériel aux ruralités du 14 septembre 2015 a balayé d’un revers de main 20 ans de progrès social. Dans le prolongement des lois de décentralisation et du rôle de prévention et de développement social confié aux CCAS, le décret de 1995 a assorti cette mission ambitieuse d’une démarche d’analyse des besoins sociaux (ABS) sur leur territoire. 20 ans après, cette ambition n’existe plus. Triste anniversaire…
Simplification à tout va, peu importe les conséquences
Les temps ont donc changé. L’heure est à la simplification à tout va. Peu importe les conséquences. Peu importe l’absurdité du propos. A croire que la progression continue des besoins sociaux dans le champ de l’accompagnement des personnes âgées, de la petite enfance, de l’insertion, de la lutte contre la pauvreté, et la nécessaire rationalisation de l’action publique guidée par le manque de moyens, n’y font rien. Terminé donc le temps où l’on incitait les maires, présidents de CCAS, à mieux connaître, évaluer et en tout cas ne pas occulter la réalité sociale de leur territoire grâce à l’ABS. Terminé le temps où l’on estimait nécessaire d’identifier précisément et de manière objective les zones ou les publics en difficulté. Terminé le temps où semblaient essentielles les démarches de veille sociale, de prospective, de développement social local et de prévention.
Diversement concrétisée sur les territoires, notamment dans les petites communes confrontées à un manque d’ingénierie et de capacités financières, l’analyse des besoins sociaux a néanmoins permis à la moitié des CCAS des communes de plus de 5.000 habitants de tirer profit des enseignements de la démarche. Que dire de la moitié des CCAS des villes de plus de 80.000 habitants qui réalisent effectivement l’analyse des besoins sociaux annuellement.
Après la loi NOTRe votée cet été, qui encourage la suppression des CCAS dans les communes de moins de 1.500 habitants, voici donc le dernier coup porté à l’action sociale locale.
On ne peut pas vouloir tout et son contraire
Or, on ne peut pas vouloir tout et son contraire.
D’un côté, prôner au travers d‘un plan national le renforcement de l’accès aux droits et la lutte contre le non recours et, de l’autre, rayer de la carte les accueils de proximité que nos concitoyens sont en droit d’attendre quel que soit leur lieu de vie, y compris en zone rurale.
D’un côté, encourager les complémentarités entre acteurs et affiner les diagnostics territoriaux et, de l’autre, se passer d’un outil de veille sociale qui permet d’optimiser les partenariats.
D’un côté, lancer une grande enquête nationale inédite sur la portée de l’action sociale des communes et des intercommunalités, comme vient de le faire le ministère des affaires sociales, et de l’autre, encourager les maires à s’exonérer progressivement de toute préoccupation sociale au détriment du principe républicain d’égalité de nos concitoyens devant le service public.
Derrière tout cela, se pose la question fondamentale du sens de l’action sociale de proximité. Ce que l’on en attend. Ce que l’on veut en faire. Entre une action sociale conçue et reconnue comme un levier majeur de développement territorial et, une autre, strictement curative, cantonnée à une vision d’urgence et de réparation, il faudra nécessairement choisir. Les CCAS et les CIAS ont choisi la première option. Rien n’est moins sûr du côté de l’Etat.
Pour dissiper tout malentendu sur ce point et sur ce qui est vécu aujourd’hui par les élus et les quelques 123.000 agents de nos CCAS et CIAS comme un profond désaveu de leur action au quotidien, il est urgent que l’Etat traduise en actes sa volonté de maintenir le lien social sur l’ensemble de nos territoires. Sauf à vouloir délibérément confisquer aux élus locaux leurs prérogatives et vider de leur substance les outils mis à leur disposition pour leur permettre de répondre, à la hauteur de leurs moyens et de leur mission, à une demande sociale grandissante. Clarté, cohérence et responsabilité s’imposent. Vite.
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