C'est un fait: 2018 restera comme l'année du chantier de rénovation du modèle sportif français. Et 2019, celle du nouveau départ, sorte d'année zéro, comme le fut 1960. Nous sortions alors des Jeux olympiques de Rome, marqués par une débâcle française: 5 médailles, loin très loin de l'URSS et de ses 103 breloques. Piqué dans son orgueil, le président, le Général de Gaulle, somme son Haut-commissaire à la Jeunesse et aux Sports de l'époque – Maurice Herzog – de jeter les bases d'une forme d'étatisation du sport français. « L'objectif principal est de doter le sport français d'une politique de soutien, de planification, de détection et de formation afin que s'accroisse le prestige de la France dans le monde » (1), décrivent alors les deux hommes dans leur plan d'action. Dans toute sa verticalité, l'organisation est alors très simple avec la tutelle de l'État sur les fédérations mais aussi sur les collectivités, les communes principalement. Les financements sont publics et la pratique centrée sur la compétition et l'éducation physique à travers le pilier scolaire.
Le monde a changé
Mais depuis, « le monde a changé », comme aime le rappeler Denis Masseglia, président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF). « Mais le modèle sportif lui n'a pas évolué… ». Il fait notamment référence à un système tutélaire exercé par le ministère des Sports et qui s'exprime à travers le financement des fédérations, avec l'obligation de flécher les actions sur des axes décidés au préalable par le ministère. Et que dire de la position à la fois inédite et parfois délicate des cadres techniques sportifs placés auprès des fédérations? Et de ce fait « tiraillés entre la volonté de l'État d'en faire le bras armé de politiques ministérielles et celle des fédérations d'en faire leurs agents » (2).
Sans compter que ce modèle sportif n'apparaît plus en phase avec une réalité marquée par la place grandissante d'acteurs qui avaient – dans les années 1960 – peu de voix au chapitre. À l'image des collectivités territoriales, aujourd'hui propriétaires de huit équipements sportifs sur dix en France et qui investissent de plus en plus dans ce domaine: en 2013, elles ont engagé 13,4 milliards d'euros, soit une augmentation de 76 % par rapport à 2000 (7,6 milliards d'euros). Pour la ministre des Sports, Laura Flessel, « le système est même à bout de souffle » (lire son témoignage). En tout cas, pas suffisamment taillé pour atteindre deux objectifs majeurs: le cap de 80 médailles aux JO de Paris 2024, et augmenter le nombre de pratiquants et de licenciés de 3 millions d'ici à la fin du mandat.
Gouvernance partagée
Dans ce contexte, les grands travaux de rénovation ont été lancés le 23 novembre 2017, lors du Salon des maires, à Paris. Ce jour-là, l'ancienne escrimeuse a installé un comité de pilotage composé de quatre représentants de l'État, quatre du mouvement sportif et quatre issus des collectivités locales, les représentants du monde économique ont intégré le comité de pilotage dans un second temps. En l'occurrence, des représentants des associations d'élus: AMF pour les maires, ADF pour les départements, France Urbaine et ARF pour les régions. Les travaux sont pilotés par deux personnalités qualifiées(à titre bénévole et… hors de leurs fonctions): Laurence Lefèvre, directrice des sports du ministère des Sports, et Patrick Bayeux, docteur en sciences de gestion, consultant et également coordonnateur du comité de rédaction d'Acteurs du sport. De séminaires en ateliers, les parties prenantes ont étudié quatre scénarios.
Fin mai, ils ont partagé un même diagnostic: « la complexité du modèle actuel, le manque de lisibilité des politiques sportives et des missions respectives des différents acteurs, les difficultés entre les acteurs pour gérer une compétence partagée, un saupoudrage de moyens, une difficulté à s'adapter à l'évolution de la demande sociale ». De ces constats a ainsi émergé un scénario, le quatrième: celui d'une « gouvernance partagée à responsabilités réparties ». Et un schéma général qui, s'il est validé par le gouvernement, promet une véritable « révolution », terme employé par la ministre des Sports. À son sommet, une nouvelle structure dont le statut juridique reste à déterminer (groupement d'intérêt public?), au sein de laquelle l'État, le mouvement sportif et les collectivités territoriales auront chacun 30 % des sièges. Les 10 % restants revenant aux représentants du monde économique.
Quel financement attendu?
Aujourd’hui, le financement du sport en France repose majoritairement sur les collectivités territoriales et sur les ménages. La principale incertitude du financement du sport est liée au budget du ministère d’une part, et au financement de la structure nationale en remplacement du CNDS d’autre part. Trois taxes financent aujourd’hui le sport: une taxe de 1,8 % sur les paris sportifs; une taxe de 1,8 % sur les jeux et loteries exploités par la FDJ; une taxe de 5 % sur la cession par les organisateurs des droits de retransmission télévisuelle. Toutefois, ces taxes sont plafonnées par la loi de finances. Un simple déplafonnement de ces taxes aboutirait à un montant de 385 millions d’euros. Le président du CNOSF, dans un courrier adressé au président de la République, a demandé que la future structure qui se substituera au CNDS soit dotée d’un budget de 400 millions d’euros.
Disparition de la structure CNDS
D'une manière générale, cette structure-chapeau « ne constituerait pas une couche d'administration supplémentaire », soulignent Laurence Lefèvre et Patrick Bayeux qui ont animé le comité de pilotage. «Elle se substituerait notamment au Centre national pour le développement du sport (CNDS) et au Conseil national des sports.»
Elle sera chargée d'affecter des crédits à deux grandes directions:
– le haut niveau – appelé « Performance 2024 » qui définira notamment les objectifs de performance en lien avec les fédérations délégataires olympiques et identifiera les modes d'accompagnement des athlètes. Autant de missions sur lesquelles planche déjà Claude Onesta, l'ancien sélectionneur de l'équipe de France de handball, depuis septembre 2017;
– le développement des pratiques. Cette « branche » analysera ainsi les objectifs et moyens du développement de la pratique sportive fédérale. Mais aussi ceux dédiés aux réseaux nationaux non fédéraux, à travers également des enjeux associés tels que la santé, l'éducation, l'inclusion sociale et la réduction des inégalités territoriales.
Cette structure définira également des enveloppes par région qui cofinanceront les politiques sportives territoriales proposées par les acteurs des territoires. La condition, pour toucher des financements nationaux étant que chaque région rédige un « projet sportif de territoire », articulé au minimum autour de quatre piliers: le haut niveau, le sport professionnel, les équipements structurants et l'inégalité d'accès aux pratiques.
Qui s'occupera de quoi?
Ce projet sera donc coconstruit au sein d'« instances collégiales de concertation », installées dans les territoires. Elles associeront l'État, le mouvement sportif (CDOS, CROS), la région, le département, les intercommunalités, les communes volontaires le cas échéant et les acteurs économiques. Cette organisation locale ou conférence des financeurs qui vise donc une forme de souplesse, constituera également un guichet unique pour les acteurs locaux tels que les associations par exemple. «Chacun définira sa stratégie en fonction de ses besoins et autres caractéristiques. Et non plus à partir d'appels à projets nationaux », décrit Patrick Bayeux. «Car tous les enjeux ne sont pas les mêmes partout », complète Laurence Lefèvre. «L'idée est vraiment de créer les conditions du développement sans le prescrire ». Il s'agit également d'en finir avec ce système selon lequel « tous les acteurs interviennent sur tous les sujets. Et de déterminer précisément qui fait quoi, notamment au sein des collectivités », reprend Patrick Bayeux. Un exemple? Sur la question des quartiers, il faut des équipements mais aussi des animateurs. Alors qui s'occupera de quoi? Pour le haut niveau, est-ce que tous les acteurs doivent continuer à intervenir ? C'est aux acteurs d'en décider ».
Recherche de consensus
Un mode de faire radicalement différent de ce qui se pratique depuis soixante ans. «C'est le vrai défi », glisse-t-il. «Ces structures, aux niveaux national et territorial, je les vois fonctionner par consensus », complète la directrice des sports. Si cela passe par des votes, ce sera un mauvais signal. Cela sous-entend donc de travailler en amont, pour rechercher ce consensus. Au niveau national, le comité d'orientation dont la composition reste à définir peut aussi être important pour élargir le focus.
Si plusieurs aspects – financiers notamment (lire témoignages) – restent à finaliser sinon à définir, l'idée des acteurs est donc d'installer la nouvelle gouvernance début 2019. S'il aboutit, ce chantier aura été mené tambour battant. «Ensuite, tout se mettra en forme de façon progressive », conclut (rassure?) Denis Masseglia.
Et le ministère des Sports?
Comme lexplique Laurence Lefèvre, directrice des sports, « le ministère est appelé à se rénover ». Et ce, autour de trois aspects identifiés. Un, « tout ce qui concerne le « régalien », avec la régulation, la sécurité des pratiques, les formations… ». Deux, « ce que j'appelle un métier de tutelle rénovée. Jusqu'ici, la relation était bilatérale entre un évaluateur et un DTN ou entre une direction des sports et un président de fédération. L'enjeu est de parvenir à une relation de délégant à délégataire qui sera plus aidante pour ce dernier et qui fera qu'il devra être plus précis sur la façon dont il contribue au développement du service public ». Et trois, « il s'agira de développer les relations avec les autres ministères: Travail, Éducation nationale, Transports, Santé, etc. C'est important pour que la direction des sports en soit vraiment une. Et non plus une direction des fédérations ».
(1) Revue française d'administration publique, l'administration du sport, n° 97, janvier-mars 2001. (2) Projet de gouvernance du sport français, 6 novembre 2017.
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Gouvernance du sport français
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