De Lyon à Strasbourg en passant par Bordeaux, Besançon, Tours, Poitiers ou Annecy, les victoires des Verts aux élections municipales ont créé le surprise. Mais si leur succès historique s’explique en grande partie par les exigences écologiques d’une population plus que jamais sensibilisée au dérèglement climatique, leur expérience de la gestion municipale soulève des questions. Notamment dans le champ de la sécurité publique.
Il suffit en effet de lire leur profession de foi publiée en mars dernier sur les questions de sécurité pour mesurer leur singularité. Dans ce texte doctrinal, ils rejettent la « militarisation des polices municipales » et le danger de leur armement et dénoncent l’inutilité de la vidéosurveillance et son coût exorbitant. « À rebours de la surenchère sécuritaire, nous affirmons que la sûreté locale repose sur une approche préventive et démocratique » affirment-ils, plaçant l’expertise de l’usager citoyen et le partenarial local au cœur de leur programme.
Faut-il donc s’attendre à un tournant dans les politiques locales de sécurité ? La réponse du sociologue Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS et auteur de « De la police en démocratie » (Grasset).
La victoire des écologistes dans plusieurs grandes villes françaises peut-elle selon vous chambouler les politiques de sécurité ?
Il est encore trop tôt pour affirmer qu’ils le feront mais, en effet, l’élection de ces maires Verts, auxquels j’ajoute celle d’Anne Hidalgo, constitue une opportunité inédite et majeure de changer la manière de concevoir la police. Ils proposent une vraie alternative à la sécurité publique vue comme une succession d’interventions musclées et d’interpellations.
Pour la première fois depuis 40 ans, des élus locaux affirment clairement leur intention de développer une police municipale aux missions spécifiques qui ne soit pas une force d’appoint à la police nationale. En somme, et c’est décisif, une police tournée vers les attentes des habitants et non celle des préfets.
Cette volonté, qui a été exprimée pendant la campagne électorale, n’est pas celle d’une ville laboratoire mais d’un ensemble de grandes villes, dont la capitale. Or, en matière de sécurité, en France ce sont les maires qui ont toujours fait bouger les lignes et développer des approches nouvelles.
Quelle serait alors la spécificité de l’approche des Verts dans le domaine de la sécurité ?
Les programmes des différents élus écologistes montrent qu’ils n’ont pas encore de véritable doctrine concernant la sécurité publique. En revanche, il y a une sensibilité, dont le maire de Grenoble, Eric Piolle, avait témoigné lors de campagne électorale de 2014 et que les nouveaux élus reprennent.
D’abord, leur modèle propose d’intégrer l’action de la police municipale dans l’action partenariale. Cela paraît banal mais en réalité, c’est à contre-courant de la vision gouvernementale. En effet, le modèle dominant voulu aujourd’hui repose sur le supposé « continuum de sécurité » qui est en fait un « continuum des polices » et consiste à renforcer la coordination des différentes polices – étatique, municipale et privée – entre elles.
La proposition des écologistes, qui va puiser dans les rapports Bonnemaison et Belorgey du début des années 80, est bien différente. Il s’agit pour eux de faire travailler la police municipale avec l’ensemble des partenaires locaux, comme l’Education nationale, la Santé, les autres collectivités territoriales, les associations… Si les nouveaux maires valident cette approche et la mettent en œuvre, on pourra alors parler de tournant dans les politiques locales de sécurité.
Le deuxième axe est de définir les missions des policiers municipaux en fonction des attentes exprimées par les habitants et non des préfets qui eux répercutent celles de l’Etat. Ce modèle est en général celui des polices locales d’Europe, le plus souvent régionales, qui ont une véritable capacité à définir les priorités à partir des besoins de la population.
Affirmer de la sorte que la bonne police n’est pas celle du continuum des polices mais celle qui est tournée à la fois vers le partenariat local, c’est-à-dire la prévention, et les usagers, c’est un choix politique majeur. La plus grosse erreur du modèle actuel est de confondre la police et la sécurité. Une nouvelle conception de la sécurité portée par les élus écologistes laisserait entrer un courant d’air que nous n’avons pas ressenti depuis longtemps.
Concrètement, comment mettre en œuvre ce modèle de sécurité locale ?
Le modèle de police français est obsolète, il est temps de le réformer. Définir une doctrine d’emploi de la police à partir des besoins des habitants suppose de créer des outils. C’est ce que la ville de Paris s’emploie à faire avec des dispositifs pour recueillir les attentes de la population. Cette ingénierie renvoie aux diagnostics locaux de sécurité mis en place dans les années 80 et 90 puis dans le cadre de police de proximité du début des années 2000. Elle suppose aussi de créer des capacités nouvelles chez les agents par la formation: écouter la demande et savoir se justifier, ça s’apprend.
Par rapport aux années quatre-vingt, les élus des grandes villes disposent de leviers. Ils ont aujourd’hui les moyens d’approfondir les relations partenariales entre la police municipale et les autres administrations. Il y a désormais dans les collectivités une véritable professionnalisation des personnels qui ont acquis un savoir-faire. Les possibilités de mobiliser les partenaires sont plus grandes qu’hier.
La maire de Paris s’est engagée à créer une police municipale sans arme à feux. Quant aux élus verts, ils ne dissimulent pas leur malaise face à l’armement des policiers municipaux. Peut-on envisager un désarmement des agents dans certaines villes ?
C’est très compliqué d’enlever des armes à une force de police. On l’a vu avec l’exemple des lanceurs de balles de défense (LBD). La preuve est faite que ce sont des armes inutiles et dangereuses. Près d’une trentaine de mutilations ont été dénombrées en une année. Ce n’est pas pour autant que ces armes ont été retirées par le gouvernement.
Cela dit, le choix de ne pas armer sa police est pertinent. Dans les pays qui n’arment pas les policiers, comme la Grande-Bretagne, le nombre de tués est plus faible tant chez les policiers que chez les citoyens. C’est un fait qui n’est pas considéré dans le débat politique français.
Le non-armement engendre aussi des effets très positifs sur le plan économique. Tous les moyens dédiés à l’armement seraient très utiles pour faire autre chose. Il faut en effet dégager les ressources et du temps pour former les personnels à d’autres savoir faire et par exemple de gestion des tensions, et surtout à de nouvelles compétences partenariales et relationnelles.
En résumé, l’arrivée des écologistes à la tête des grandes villes va peut-être, enfin, relancer le débat en interrogeant le modèle qui prévaut aujourd’hui d’une police part trop coupée de la population, de plus en plus armée (arme de poing, longue, LBD, taser, grenades), et centrée sur le contrôle d’identité et l’intervention. Ce même modèle qui, on l’a vu ces dernières semaines, a provoqué une mobilisation mondiale contre lui…
Proximité et dialogue au programme des candidats
Que ce soit à Bordeaux, Lyon ou Grenoble, les élus misent sur la proximité et le dialogue. Pas d’armement ou de caméras de vidéosurveillance en prévision, mais un renforcement des effectifs pour accentuer la présence des agents dans toute la ville. Ainsi, à Lyon, Grégory Doucet prévoit d’augmenter les effectifs d’au moins 20 agents durant le mandat et de renforcer la brigade cycliste. A Grenoble, il est question de maintenir l’effectif à 100 policiers municipaux et de renforcer de 30% la présence de la police municipale grâce au déploiement complémentaire d’une police de l’environnement.
Les élus écologistes misent donc tout sur la présence humaine. A Bordeaux par exemple, Pierre Hurmic précise que la sécurité des personnes et des biens doit passer par l’éducation, la prévention et la répression « si nécessaire ». Il souhaite pour cela organiser des unités territoriales de quartiers réparties de manière équilibrée dans toute la ville. Il veut une police municipale plus proche et mobile, à l’écoute des habitants, et avec des horaires d’intervention élargies. L’objectif est de « rétablir le lien de confiance », afin notamment de « favoriser la collecte de renseignements indispensable à la tranquillité publique ».
Les brigades mixtes sont aussi à l’ordre du jour, notamment avec les acteurs de proximité. A Bordeaux, il s’agirait de rapprocher les policiers municipaux des autres services tels que la voirie, l’urbanisme ou la propreté, là encore afin de favoriser les échanges avec les habitants. A Lyon, Grégory Doucet souhaite donner davantage de visibilité et de mobilité à ses agents avec une implantation dans tous les quartiers d’antennes rassemblant les policiers municipaux et les éducateurs de rue.
Les élus réaffirment aussi leur opposition à la vidéosurveillance avec une nuance à Lyon où Gregory Doucet promet « une adaptation du dispositif en fonction des conclusions tirées ». En revanche, il se positionne pour la mise en place de la vidéo-verbalisation statique et sur véhicule pour sanctionner les infractions routières et certains stationnements. Même chose à Bordeaux avec la vidéo verbalisation sur certains points stratégiques (respect des arrêts minutes, voies réservées au covoiturage), ou à Grenoble avec le déploiement du contrôle automatisé et de la verbalisation à distance pour réduire les violences routières.
Enfin, les nouveaux maires préconisent une clarification des relations avec les forces de l’Etat. Grégory Doucet souhaite ainsi renégocier le Contrat local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD). « Les missions de la PN et de la PM doivent être plus distinctes et claires pour gagner en efficacité », peut-on lire dans le programme.