Alors que la mobilisation bat son plein contre les violences policières, le sociologue Laurent Mucchielli, livre son analyse sur les dérives racistes et réagit aux annonces gouvernementales. Selon lui, le respect mutuel passe par la restauration d'une police de proximité qui permette à la population et aux fonctionnaires de police de se connaître.
Alors que le gouvernement affiche une volonté inédite de lutter contre les violences policières et le racisme au sein de la police nationale, plusieurs voix s’élèvent pour demander une réorientation des missions de police [1]au profit de la prévention et du dialogue avec la population.
C’est le cas du sociologue Laurent Mucchielli, directeur de recherche au CNRS (LAMES, Laboratoire méditerranéen de sociologie) et auteur d’un récent ouvrage, « La France telle qu’elle est. Pour en finir avec la complainte nationaliste » (Fayard, 2020)
C’est très bien de s’indigner des violences policières commises aux Etats-Unis. Mais sommes-nous capables de faire pareil en France ? Regardez la levée de boucliers qu’a suscité les propos de la chanteuse Camélia Jordana (NDLR : le 23 mai, lors de l’émission « On n’est pas couché », sur France 2, la chanteuse disait : « Il y a des hommes et des femmes qui se font massacrer quotidiennement en France, tous les jours, pour nulle autre raison que leur couleur de peau. » et « Il y a des milliers de personnes qui ne se sentent pas en sécurité face à un flic, et j’en fais partie »). Ses propos étaient évidemment trop émotionnels, mais ils soulèvent un vrai problème. Dire « la police est raciste » est faux, mais dire « la police n’est pas raciste parce qu’elle est républicaine » est faux également. Il faut réfléchir tranquillement à une réalité qui n’est ni blanche ni noire, mais souvent grise.
Il n’y a évidemment pas de statistique des violences policières et il est souvent difficile de qualifier les faits. Où finit l’usage légitime de la force et où commence la violence gratuite ? Où finit le hasard malheureux et où commence l’accident provoqué ? Pour rappel, la plupart des émeutes en France font suite à la mort ou la blessure grave de jeunes dans des courses poursuites. Un exemple récent : les tensions, fin avril, entre les habitants de Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine) et la police sont intervenues après un accident (ou pas) impliquant un jeune motard et la police (NDLR : Une enquête a été ouverte par le parquet de Nanterre et l’IGPN a été saisie).
Il y a plusieurs niveaux d’analyse. D’abord, il y a dans la police des personnes qui ont des opinions d’extrême-droite racistes. C’est vrai dans l’ensemble de la société, la police n’y échappe pas. Selon les commissariats et les unités, ces personnes sont plus ou moins nombreuses et se sentent donc plus ou moins légitimes à exprimer ces opinions.
Ensuite, il y a des pratiques discriminatoires sans intention raciste. Les études des sociologues sur les contrôles au faciès sont sans appel. On a beaucoup plus de risques de se faire contrôler quand on est jeune, « noir » ou « arabe », vêtu d’un sweet à capuches, etc. Ceci traduit des préjugés qui font partie du métier de policier de rue, et sont largement indépendants des opinions individuelles. Le fondateur de la sociologie de la police, Dominique Monjardet, l’avait montré : il y a des mécanismes de discrimination qui sont comme intégrés à la socialisation professionnelle. Ce qui les rend très difficile à combattre.
L’analyse de ces forums de discussion montre effectivement la prégnance des propos racistes. Des études locales ont montré par ailleurs un vote élevé en faveur de l’extrême droite chez les policiers, comme chez les militaires d’ailleurs. Et il faut bien préciser aussi que cela ne concerne pas que les agents de base, ça concerne tout autant la hiérarchie. Encore une fois, ce n’est pas étonnant. La question clef, c’est de savoir quelles sont les conséquences de ces opinions sur le comportement individuel et collectif. On peut y réfléchir en se demandant en sens inverse : qu’est-ce qui peut empêcher les opinions racistes de se traduire par de la discrimination voire de la violence ?
Oui, et au-delà des opinions racistes au sens biologique (contre les Noirs, les Arabes, les Juifs), il y a deux autres problèmes au moins aussi importants. Le premier est le racisme anti-musulman (islamophobie), le deuxième est l’espèce de racisme social que constitue le regard négatif porté globalement sur ce qu’on appelle « les banlieues » dans le débat public.
Au fond, la société française produit globalement de la suspicion sur les habitants de ces quartiers, comme s’il s’agissait de citoyens moins respectables que les autres. Cela ne peut que produire l’idée qu’on peut dès lors se comporter de façon moins respectueuse envers eux. Et cela explique aussi pourquoi certains policiers ne se comportent pas de la même manière selon les personnes qu’ils contrôlent, et selon les endroits dans lesquels ils effectuent ces contrôles.
Ce que les politiciens ne semblent pas comprendre c’est que les leçons de morale ou de déontologie ne servent pas à grand-chose, elles calment momentanément les choses mais ne changent rien dans la durée. Pour agir durablement, je pense qu’il faudrait d’abord briser l’omerta en trouvant un moyen pour que les hommes et les femmes qui désapprouvent le comportement de certains de leurs collègues puissent le dire sans avoir peur de passer pour des traitres.
Il faudrait également que les syndicats de police soient capables de sortir de cette posture clanique consistant à défendre systématiquement le « corps policier » contre vents et marées. Ensuite, l’irrespect voire la violence sont toujours facilités par l’anonymat et au contraire contenus par l’interconnaissance.
La police de proximité a toujours atténué ces tensions. Des deux côtés d’ailleurs. Car le jeune qui a été mal traité par des policiers sera à son tour maltraitant envers les policiers par la suite. C’est ce cercle vicieux de la vengeance et de la violence qu’il faut briser par le dialogue et l’interconnaissance qui fabriquent en retour du respect mutuel. Malheureusement, la police de proximité ne s’est toujours pas remise du traumatisme de 2002, quand Nicolas Sarkozy a en substance dit aux policiers qu’ils n’étaient pas là pour discuter mais pour interpeller. Et nous avons tous constaté avec le mouvement des gilets jaunes que cela ne concernait pas seulement la sécurité publique mais aussi le maintien de l’ordre.
Ce n’est pas le cas. On a fait des aménagements dans le management des effectifs, mais on n’a pas vraiment changé la doctrine ni la façon de travailler.
L’évolution n’est pas rassurante. En théorie, la police municipale a devant elle un boulevard pour être la vraie police de proximité, au contact quotidien et prolongé avec la population. Mais en pratique elle se développe de plus en plus en imitation des nationales avec une course à l’armement, le travail de nuit, l’enfermement dans les voitures au lieu des patrouilles à pieds… Du coup, cela dépend de plus en plus des consignes données par les maires et des recrutements qui sont faits tant au niveau des chefs de police que des agents de base. En quelques années, une culture de la proximité peut disparaître et une situation bien gérée peut devenir tendue.
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