Les prévisions du gouvernement dans le projet de loi de finances rectificative pour 2020 sont-elles déjà obsolètes (baisse du PIB de 1% et du déficit public de 3,9%) ?
Oui c’était vraiment de premières estimations réalisées par le gouvernement au milieu du mois de mars 2020, plus que des prévisions. Avant la crise, il prévoyait +1,3% de croissance et il a révisé cette estimation à -1%. Et c’est encore en train d’être révisé car le gouvernement s’est basé sur un mois de confinement. Ce n’est plus le scénario central. Aujourd’hui, on sera sur une croissance en 2020 largement inférieure au -1%.
Que retenir de l’étude de l’OFCE ?
A l’OFCE, on a sorti une étude qui mesure l’impact sur la valeur ajoutée et le PIB d’un mois de confinement. On arrive à la conclusion que ce n’est pas tellement la crise sanitaire qui a un impact économique mais plutôt les mesures pour lutter contre cette crise comme le confinement. Dans la situation actuelle, la France perdrait 30% de sa création de valeur ajoutée par mois de confinement, soit de 2,6 points de PIB. C’est colossal et du jamais vu. Et ce n’est qu’une règle arithmétique, car il y a des effets non linéaires qui peuvent être assez dangereux. Les risques de faillites s’accroissent si la période de confinement est prolongée. Dans ce cas-là, il y aurait des pertes définitives.
Néanmoins, le point positif dans le confinement, c’est que l’on peut imaginer que les entreprises s’adaptent au contexte. Il y a eu un choc énorme sur la première semaine mais on peut imaginer qu’il y a une sorte d’apprentissage des entreprises qui, petit à petit, en respectant un certain nombre de règles, peuvent se mettre à reproduire. Il y a une capacité d’adaptation des entreprises à la crise.
Peut-on se fier à l’évolution de l’épidémie en Chine pour en prévoir les conséquences en France ?
On regarde la Chine car nous n’avons pas d’autre indicateur avancé. L’exemple chinois nous enseigne qu’il n’y a pas de levée complète immédiate du confinement. Il faut prendre en compte une période de transition. On ne va pas revenir à un niveau d’activité comme avant la crise immédiatement. On peut imaginer que tous les restaurants, commerçants, écoles ne vont pas rouvrir immédiatement à la levée du confinement. Il va encore y avoir des contraintes fortes. On imagine bien que le tourisme continuera aussi à être impacté. Il y aura une période de transition que l’on maîtrise très mal.
Les impacts pays par pays peuvent être très différents parce que la reprise va dépendre des mesures de soutien qui vont être dégagées par les Etats. Plus ils vont tenter d’amortir le choc fortement et tout de suite avec des mesures pour limiter une hausse du chômage, les pertes de salaires ou les faillites d’entreprises, et plus a priori la reprise pourra être bénéfique et rapide. Plus le coût sera élevé aujourd’hui, plus les bénéfices seront importants demain. Le plan de relance sera beaucoup moins nécessaire si on a un plan de soutien important.
45 milliards d’euros de soutien de la part de l’Etat, est-ce suffisant ?
Ce ne sont que des chiffrages. Ils seront révisés également car cette somme est calculée sur la base d’un mois de confinement et elle contient « des choux et des carottes ». Par exemple, le report des impôts et cotisations n’est pas une suppression. C’est très bien pour la trésorerie des entreprises mais ça ne veut pas dire qu’elles seront exonérées d’impôts et de cotisations. D’ailleurs, Bruno Le Maire a bien dit que dans les cas difficiles, il y aurait peut-être une annulation de ces paiements mais que ce ne serait qu’un lissage pour favoriser la trésorerie pour la grande majorité des entreprises. Ce ne sont que des avances de crédits. L’Etat fait le banquier temporairement mais ce qui est dû reste dû. Une annonce qui est plutôt une bonne nouvelle pour les collectivités sur la TVA par exemple. Les collectivités sont assez peu touchées en réalité, sur le plan des impôts, par les mesures du gouvernement.
En sortie de crise, il y aura une dette fiscale. La question est de savoir comment on l’amortira dans le temps. Sur les 30 à 32 milliards d’euros de report d’impôts, une grande partie sera récupérée par l’Etat après. Il faudra faire attention à la vitesse où il les récupérera pour ne pas trop impacter les entreprises. Sur ce paquet de mesures, le coût budgétaire peut être assez faible finalement.
L’Etat propose également un fonds de solidarité avec la participation des régions pour aider les petites entreprises et les indépendants. Il propose aussi des garanties de crédits à hauteur de 300 milliards d’euros. L’Etat apporte sa caution pour que les entreprises puissent continuer à emprunter et qu’elles ne se retrouvent pas en défaut de paiement ou en difficulté dans l’accès au crédit. Le montant est très important mais c’est peu d’engagement budgétaire concrètement.
L’intervention de l’Etat est forte. On ne peut pas dire qu’il reste les bras croisés.
En revanche, ce qui coûte cher à l’Etat, c’est le chômage partiel. Selon notre chiffrage, si toutes les entreprises impactées par les effets directs des fermetures de commerces et la perte d’activité demandaient du chômage partiel, on serait à 20 milliards d’euros par mois. C’est le coût à payer pour socialiser la crise et éviter que les gens se retrouvent au chômage. Cependant, la question des CDD et de l’intérim va se poser. Beaucoup de contrats courts ne vont pas être prolongés. Dans beaucoup de cas, les entreprises ne vont pas reconduire les contrats s’il n’y a pas d’activité. Et il y aura un coût budgétaire supplémentaire de court terme avec la relance sur le plan sanitaire (rémunérations supplémentaires des services hospitaliers, la nécessité de besoins et d’infrastructures…).
Peut-on comparer ce choc financier à la crise de 2008 ou à celle de 1929 ?
Toute crise a une identité propre. Le seul point commun c’est la violence du choc. Il faut se donner des ordres de comparaison. On est dans des chocs exceptionnels de grande envergure macroéconomique à impact mondial, donc assez rare. Mais les origines sont différentes. Les chocs de 1929 et 2008 se ressemblaient plus qu’aujourd’hui. C’étaient deux crises qui provenaient de l’explosion de bulles financières du système bancaire et financier.
Cette épidémie de coronavirus devrait diminuer à un moment donné, soit grâce à une immunité collective si une grande partie de la population l’attrape, soit grâce à un vaccin. Elle n’est pas censée durer dans le temps. Le choc est beaucoup plus violent transitoirement que ce que l’on n’a jamais observé en dehors des périodes de guerre mais il risque d’être beaucoup plus court. Cependant, seule l’intervention ciblée des Etats pourra permettre que cette crise ne soit pas durable.
Face à un endettement record de l’Etat représentant plus de 100% du PIB, à quel point les finances des collectivités seront-elles utiles pour la relance ?
Les collectivités locales ont un rôle à jouer. Mais il est moins fiscal. L’ensemble des prélèvements obligatoires en France, c’est un peu plus de 1000 milliards d’euros. Les collectivités locales ne représentent que 13% de ce total. Il y a donc 87% de la fiscalité qui ne passe pas par les collectivités locales, donc leur capacité d’intervention reste assez minime au regard des cotisations sociales et impôts prélevés par l’Etat. Certaines collectivités ont proposé des baisses ou reports de paiement de la cotisation foncière des entreprises mais on reste sur des sommes assez limitées. La CFE et la taxe foncière sur les entreprises ne représentent que deux milliards d’euros de ressources par mois.
Le problème qui va se poser est plutôt celui de l’investissement. Les collectivités locales sont connues pour générer une partie importante de l’investissement public en France. Directement, c’est une source d’activité pour les entreprises. Or, souvent en cas de crise, on remarque un gel de l’investissement. Dans les plans d’ajustement budgétaire qui ont eu lieu post crise de 2008, le gouvernement de l’époque avait choisi la réduction des dotations aux collectivités locales notamment sous François Hollande. Une grande partie de l’ajustement s’était alors traduit par une contraction de l’investissement public.
Avez-vous un premier chiffrage de perte de ressources pour les collectivités ?
La perte d’activité représentera selon nos estimations 2,6 points de PIB soit un peu plus de 60 milliards d’euros soit une perte d’environ 30 milliards d’euros de prélèvements fiscaux pour l’ensemble des administrations publiques. Or comme les impôts perçus par les collectivités représentent 13% de ce total, on peut proportionnellement estimer la perte pour les collectivités à 3,9 milliards d’euros par mois. Mais ce n’est qu’un ordre de grandeur car les assiettes fiscales réagiront différemment. Certaines ressources fiscales sont très exposées comme par exemple l’impôt sur les sociétés ou la TVA. Alors que la taxe foncière ne va par exemple pas être impactée. Les assiettes fiscales des collectivités sont beaucoup plus rigides que les assiettes fiscales de l’Etat. Les ressources des collectivités seront donc plus préservées que les ressources de l’Etat.
Dans un contexte de crise, le lobbying du Medef pour avoir davantage d’impôts cycliques est-il un vrai risque pour les collectivités ?
C’est compliqué car la cyclicité des impôts permet d’amortir les chocs. La cyclicité, ce n’est juste qu’un transfert de revenu des collectivités locales ou de l’Etat vers les ménages et les entreprises. Si vous payez moins d’impôts demain car il y a moins d’activité, alors il y a moins de ressources fiscales pour l’Etat ou les collectivités, mais moins de pertes de revenus pour les ménages et les entreprises.
Pour les collectivités, ce choix peut poser des problèmes pour financer l’investissement ou les services publics locaux, surtout que les collectivités locales n’ont pas les capacités d’endettement de l’Etat. L’Etat peut se permettre d’avoir des impôts plus cycliques parce que ses ressources sont illimitées par la dette alors que les collectivités locales ont moins ce levier de l’endettement à cause de la règle d’or.
Peut-on imaginer comme en 2008 avec la suppression de la taxe professionnelle, une baisse de la fiscalité économique (C3S, CVAE, CFE…) pour soutenir les entreprises durant cette épidémie de Covid-19 ?
Cette question des impôts de production est importante en termes de compétitivité vis-à-vis de l’industrie, mais je ne suis pas sûr que dans l’immédiat la relance passera par-là. Elle devrait plutôt passer par des programmes européens.
La question est dans les tuyaux, donc elle sera posée mais l’Etat aura besoin de ressources budgétaires pour faire face à cette crise. De plus, il devra financer de nouvelles dépenses structurelles comme pour l’hôpital public. Je ne suis pas sûr que l’heure est forcément aux baisses d’impôts. Il y aura plutôt à mon avis des programmes ciblés de dépenses.
-6% de récession, un déficit public à 7,6% et une dette à 112% du PIB
Dans une interview aux Echos, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin viennent d’annoncer, jeudi 9 avril, une réévaluation de leurs estimations. La prévision de récession passe de -1 % à -6 %. Le déficit public est désormais attendu à 7,6 % du PIB, tandis que la dette pourrait grimper à 112 % du PIB fin 2020. Le plan d’urgence de soutien à l’économie est désormais évalué à 100 milliards, contre 45 milliards annoncés initialement.
Cet article fait partie du Dossier
Coronavirus : après l'urgence sanitaire, le choc financier
Sommaire du dossier
- Finances locales : les collectivités résistent à la crise
- Le Comité des Régions de l’UE tire la sonnette d’alarme sur l’état des finances locales
- La crise sanitaire a fortement affecté les grandes villes et les EPCI
- La crise sanitaire a coûté près de 93 milliards en 2020 à l’Etat
- Plus d’un tiers des communes anticipent une hausse de la fiscalité locale en 2021
- Le Covid-19 a coûté 3,8 milliards d’euros aux collectivités en 2020
- Confrontées à la crise, des communes de montagne freinent leurs ambitions
- Les maires font monter la pression sur le coût des vaccinodromes
- Malgré des finances plus fragilisées que prévu en 2020, les collectivités boudent certaines aides de l’Etat
- Impact financier du Covid-19 : derrière la guerre des chiffres, une crise de confiance
- Covid-19 : « retour 6 ans en arrière » pour les finances locales
- Dépenses de fonctionnement : le bloc communal fait le dos rond
- Plan de relance, baisses d’impôts, soutien aux collectivités… : Olivier Dussopt s’explique
- Le Covid-19 devrait coûter 7,25 milliards d’euros aux collectivités en 2020
- Ces territoires déjà fragiles avant la crise du Covid-19
- Les collectivités auront-elles encore des capacités d’action en 2021 ?
- Comment les territoires d’outre-mer subissent la crise sanitaire
- Baisse des recettes et des dotations : qui subit la double peine ?
- Crise financière : une clause de sauvegarde trop sélective
- La crise sanitaire n’affectera pas les recettes de la grande majorité des communes
- Quel impact attendre de la crise sur la notation des collectivités ?
- Taxe de séjour : le compte n’y est pas pour les communes
- Baisse de recettes : les grandes villes les plus touchées mais pas coulées
- Laurent Saint-Martin : « Le sujet de la compensation Etat-Collectivités est loin d’être fini pour l’année 2020 »
- Crise sanitaire : quels impacts sur les droits de mutation à titre onéreux ?
- « Il est aujourd’hui impossible pour les nouveaux élus de voter leurs taux de fiscalité »
- « Très peu de collectivités ont choisi d’être couvertes pour des pertes de recettes »
- Face à la percée du « drive alimentaire » pendant le confinement, la TASCOM doit-elle évoluer ?
- Coronavirus : la crise coûte cher aux communes d’Ile-de-France
- La santé au cœur de la relance de l’investissement local
- Récession : le plan d’urgence des territoires
- Pertes de CVAE : l’année 2022 risque d’être pire que 2021
- [DATA] Le coronavirus dégrade les finances des collectivités
- Casinos : les communes enregistrent des pertes sérieuses
- Longues négociations en vue sur les délégations de services publics
- Finances locales : les départements veulent échapper au scénario noir
- Les communes grandes gagnantes du plan d’urgence de 4,5 Mds€ du gouvernement
- Versement du FCTVA : les scénarios pour relancer les investissements
- Les finances locales touchées par le Covid-19
- Coronavirus : le plan d’urgence du gouvernement divise les collectivités
- « Il va falloir maintenant une vraie réforme de la péréquation »
- Les intercommunalités à la relance
- Les dommages collatéraux du coronavirus sur les comptes locaux
- Evaluation du coût de la crise sanitaire : les méthodes utilisées sur le terrain
- Finances locales : c’était l’éclaircie avant la tempête
- Coronavirus : les collectivités face aux pertes de recettes tarifaires
- Annulations de festivals : des pertes économiques vertigineuses pour les territoires
- Collectivités locales et délégataires : comment éviter les tensions
- Le RSA à la veille d’une catastrophe annoncée
- Crise sanitaire : comment évaluer la perte de CVAE à venir sur son territoire ?
- Coronavirus : comment faire de la péréquation un outil de survie
- Impact de la crise du Coronavirus dans la gestion de la dette et la trésorerie des collectivités
- Coronavirus : toutes les conséquences fiscales sur les collectivités
- Coronavirus : ce que prépare le gouvernement pour les collectivités
- Les premières mesures financières d’urgence pour les collectivités
- Achat de masques : comment l’Etat va alléger la note des collectivités
- Outre-mer : « Plus de 200 millions d’euros de pertes en 2020 »
- Coronavirus : comment éviter la baisse des investissements locaux
- Coronavirus : ne pas sous-estimer la résilience financière des collectivités
- Face à la crise, il faut redonner vie à l’autonomie fiscale locale
- Le deuxième projet de loi de finances rectificative est adopté
- Le versement mobilité au cœur des controverses (1/2)
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- Coronavirus : le danger des impôts cycliques
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- La réforme fiscale survivra-t-elle à l’épidémie de coronavirus ?
- Coronavirus : menace sur les budgets 2020-2021 des collectivités locales
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