Quels textes juridiques appliquer ? Quel cadre installer en l’absence de dispositions réglementaires ? Quels outils pour la protection des données… Ces dernières semaines, la mise en place du télétravail s’est révélée être un casse-tête logistique et juridique pour les collectivités.
La question est relativement nouvelle pour le secteur public, qui peine a rattraper son retard concernant à la fois la sécurisation des données ou le management des agents, tout en s’interrogeant sur le cadre légal dans lequel le télétravail peut s’inscrire.
« La loi de 2012 permet aux employeurs publics de mettre en place le télétravail des agents qui en font la demande. Cette disposition a été complétée par un décret en 2016 qui doit lui même être remplacé par un nouveau décret autorisant le recours ponctuel au télétravail, prévu par l’article 49 de la loi TFP« , rappelle Maître Lorène Carrère.
Problème : le texte n’est toujours pas publié. En attendant, les collectivités ont dû s’organiser au plus vite et raccrocher les wagons.
Un retard qui s’explique par plusieurs facteurs, selon l’avocate spécialiste du secteur public au sein du cabinet Seban et associés.
« Dans la fonction publique territoriale, toutes les missions ne sont pas télétravaillables comme celles des auxiliaires de puériculture. Quand à celles qui le sont, cela représente un coût pour la collectivité qui doit se fournir en matériel informatique ».
Et tandis que le secteur privé peut espérer un retour sur investissement en économisant notamment sur le loyer de ses locaux, ce n’est pas le cas pour les bâtiments publics. « Par ailleurs, il y a une culture du présentéisme très ancrée dans les collectivités qui ne savent pas vraiment gérer les agents en télétravail », constate Lorène Carrère.
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Autorisation annuelle
S’agissant du cadre légal, elle rappelle qu’en dehors d’une période de crise comme celle que traverse actuellement le pays, le travail à distance doit faire l’objet d’une délibération de la collectivité pour définir le cadre de travail de l’agent. Il faut ainsi fixer le nombre de jours autorisés et lesquels ne le sont pa,s comme c’est souvent le cas du lundi et du vendredi.
Enfin, l’agent qui télétravaille est soumis au même volume horaire que lorsqu’il se rend dans sa collectivité. « Le souci de ce mode d’activité, c’est que le temps de travail peut facilement augmenter », prévient Lorène Carrère.
Par ailleurs, cette autorisation est annuelle et doit être renouvelée chaque année. « Si l’employeur décide de stopper l’activité en télétravail de son agent en cours d’année, il doit obligatoirement justifier et motiver cette décision ».
Sur certains territoires étendus résultant notamment de la fusion des régions, l’avocate cite l’exemple de collectivités, en avance sur la question, qui ont inscrit dans leur délibération, la possibilité pour les agents de pouvoir travailler, non pas de chez eux, mais dans des espaces de coworking mis à leur disposition. Une solution pratique qui permet également d’éviter la désociabilisation et le sentiment d’isolement chez les agents.
Ne pas négliger la sécurité informatique
Autre problématique rencontrée par les collectivités novices en la matière : s’assurer de la sécurisation de leurs réseaux et des données qui y transitent.
« On constate qu’actuellement, les collectivités se forment sur le tas, en raison de la crise sanitaire, mais même mis en place dans l’urgence, il ne faut pas négliger les mesures de sécurité informatiques », prévient Benoît Liénard, directeur général chez Soluris, qui accompagne les collectivités dans leur transition numérique. Il rappelle que la période est plus que jamais propice aux cyberattaques.
Phishing et rançongiels
« Les modes opératoires les plus fréquents sont le vol de données par phishing , les rançongiciels, à savoir un programme malveillant reçu par courriel ou encore la fraude aux ordres de virements », détaille l’expert qui recommande « vivement » aux collectivités qui ne sont pas équipées de VPN (un réseau privé sécurisé) de ne pas se lancer dans l’aventure.
« S’il n’y a pas de DSI à proprement parler, capable d’installer des pare-feu et chiffrer des données qui empêchent certains virus d’atteindre le réseau de la collectivité, il vaut mieux mettre en place des roulements d’agents qui se rendent sur site pour effectuer leur missions », préconise ainsi Benoît Liénard.
Il rappelle par ailleurs que cela vaut pour les fichiers sensibles qui pourraient être envoyés via une messagerie de type Whatsapp.
Droit de réserve et réseaux sociaux
Car depuis le début du confinement, les agents s’organisent largement en groupe de travail via les réseaux sociaux. Une manière de garder le contact plus conviviale que par mail.
Mais là encore, la prudence est de mise. « Le devoir de réserve doit être plus que jamais respecté par les agents du service public. Il faut être attentif aux propos tenus sur les réseaux sociaux mais aussi dans les groupes numériques de travail. Des sanctions disciplinaires peuvent être prises dans certains cas », conclu l’avocate.
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