Installée sur une friche industrielle de Saint-Ouen depuis 1998, l’association Mains d’Œuvres n’imaginait pas que le vent puisse tourner, et que le froid souffle aussi fort après le chaud. Il y a pourtant eu un avant et un après municipales de 2014, lorsque la ville de Seine-Saint-Denis a changé de mains.
« Squatteur » aux yeux du maire
D’emblée, la situation s’est tendue. D’incompréhensions avérées en propos non confirmés, puis d’attentes insatisfaites en revirements, les points de désaccord ont vite fait d’empêcher tout dialogue constructif entre les deux parties.
D’un côté, la subvention municipale est passée de 90000 euros à zéro, tandis que le maire William Delannoy (UDI) dénonçait des mois de loyers impayés, puis une occupation illégale une fois le bail non renouvelé. Car privée de fonds pour régler les loyers, Mains d’Œuvres s’était engagé à quitter les lieux en décembre 2017. Faute de respecter le calendrier, dans l’attente du délai supplémentaire qu’elle réclamait et de son espoir de voir traîner les choses jusqu’aux élections municipales de mars prochain, l’association s’était élevée au rang de « squatteur » aux yeux du maire.
237000 euros de loyers impayés
Qu’importent ses 70 salariés, ses 1500 adhérents et 40000 visiteurs annuels, ses expositions, son école de musique, ses artistes en résidence, ou son rayonnement dépassant les frontières de la Seine- Saint-Denis, le préfet avait ordonné l’expulsion du centre culturel, le 8 octobre 2019, au regard des « 237000 euros de loyers impayés » dénoncés par le premier magistrat.
Ce fut une première victoire pour la municipalité qui souhaitait récupérer les 21000 m2 de l’ancien centre sportif et social de Valéo pour y ériger un nouveau conservatoire municipal, qu’elle comptait bien inscrire ce projet dans son programme électoral, en remplacement de l’actuel, jugé trop exigu.
Mais la victoire aura de courte durée car, rapidement, l’association culturelle a obtenu des soutiens de tous bords politiques, bien au-delà de l’Ile-de-France, et suscité une réelle mobilisation autour d‘elle. L’équipe municipale majoritaire s’est même fissurée au lendemain de la gestion brutale de ce dossier et plusieurs colistiers de William Delannoy se sont désolidarisés.
Refusant de voir disparaître ce lieu culturel atypique, et regrettant que la situation en soit arrivée à ce qui ce qui a pris des airs de point de non retour, le ministre de la Culture, Franck Riester, avait même proposé une médiation sous l’égide de son ministère. En vain, car rien n’a évolué sur le fond depuis trois mois.
Mains d’Oeuvres dans la campagne municipale
Si aujourd’hui, Mains d’Œuvres peut espérer retrouver son centre culturel, c’est sur la forme et pour un temps donné. Car le tribunal judiciaire de Bobigny a estimé que l’expulsion du 8 octobre était entachée d’irrégularités sur le procès-verbal, notamment sur l’état des lieux qui n’aurait pas été réalisé en bonne et due forme, omettant certaines pièces du bâtiment.
Cette faute de procédure permet donc à l’association de réintégrer ses locaux, sans attendre, puisque la décision est exécutoire (sous peine d’une amende de 10000 euros par jour pour la ville) et que l’appel annoncé par le maire n’est pas suspensif.
L’association a accueilli la nouvelle dans la liesse, son trésorier confiant avoir « toujours cru en la justice. » Pour sa part, le maire a regretté, comme le relate Le Parisien, que « notre projet de conservatoire, dans une ville qui évolue et qui a besoin d’équipements publics pour sa population, personne ne s’en inquiète. » Il avait déjà estimé que l’association avait retardé « de deux ans » l’ouverture du nouveau conservatoire.
Mains d’Œuvres a maintenant 18 mois pour trouver une solution pérenne : organiser son transfert ou signer un nouveau bail avec la ville. Un sujet qui s’est déjà invité dans le débat des élections municipales, puisqu’aucune expulsion ne pourra être ordonnée avant le 22 mars 2021.
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