La campagne électorale des municipales va peut-être pousser les élus et candidats à repenser l’investissement local. Hormis durant ce mandat –exceptionnel du fait de la baisse de 11,5 milliards de dotations entre 2014 et 2017 – les dépenses d’équipement ont toujours été un marqueur important de l’action des élus locaux. La réputation des maires bâtisseurs n’est plus à faire, même si elle a donc été un peu supplantée durant ces dernières années par celle du maire gestionnaire. Mais maintenant ?
Les équilibres financiers restaurés, beaucoup d’édiles ont ressorti la truelle et le mortier pour rattraper un retard qui ne pourra d’ailleurs pas l’être si on compare d’un mandat à l’autre selon la dernière étude de la Banque des territoires pour l’AMF : entre 2008 et 2012, les dépenses d’équipement du bloc local ont atteint 139,2 milliards d’euros contre 123,3 milliards entre 2014 et 2018, soit un recul de 15,9 %.
Moins d’équipements, plus de mécontentement
Si l’épargne brute a pu être mieux stabilisée durant ces années de restrictions de ressources et désormais d’encadrement de la dépense via la contractualisation, la pression –pas encore contraignante – sur l’endettement poussera les futures équipes municipales à la prudence, au moins cette année.
Associations d’élus, services d’études des banques, organismes publics et privés se penchent donc activement sur l’évolution future du montant d’investissements locaux reconnus unanimement comme primordiaux dans le développement d’un territoire. L’étude du Conseil d’analyse économique (CAE) publiée en janvier 2020 confirme, si besoin est, que « l’environnement local influence le mécontentement des habitants, au-delà de leur propre situation personnelle ». Et de rappeler « le rôle important de la perte d’équipement : une commune qui perd son lycée, sa librairie ou son cinéma a plus de risques de connaître un événement Gilets jaunes. La fermeture des équipements de santé conduit à un résultat similaire ». Ce constat satisfera les laudateurs du parpaing. Mais la construction d’une médiathèque sera-t-elle suffisante à garantir la cohésion sociale durant au moins le prochain mandat ?
Revoir les stratégies d’investissement
Visiblement non, selon les premiers engagements et professions de foi relevées par Jean-Luc Rigaut, président de l’Assemblée des communautés de France : « Les candidats parlent davantage de collégialité, de participation citoyenne, de solidarité territoriale » remarque-t-il.
L’étude du CAE confirme : « nous considérons que l’objectif des politiques territoriales doit être repensé pour viser davantage la qualité de vie et les critères de bien-être de la population, au-delà des seuls objectifs économiques. » En d’autres termes, les futurs élus locaux doivent faire évoluer leurs critères du bon investissement. Il ne suffit pas de faire un bâtiment public, mais d’en faire aussi « un lieux de socialisation » pour éviter l’émergence d’un « mal-être des territoires mobilisés dans le mouvement des Gilets jaunes ».
A cette aune, l’investissement attendu pour ce mandat pourrait s’avérer plus immatériel que matériel : du personnel social et/ou d’animation, des projets plus inclusifs, co-construits et de participation citoyenne, des modes de partage de biens communs, de transports, de missions d’intérêt général, un soutien plus soutenu aux associations, etc. Sur ce dernier point, le CAE est catégorique : « lorsque le tissu associatif local est plus dense, les expressions de mécontentement sont plus rares ».
L’élu local de nouveau au centre du jeu
Même si cette évolution des besoins exige un effort d’imagination de la part des candidats pour les satisfaire, elle est aussi une formidable opportunité pour réaffirmer l’importance du rôle de l’élu local dans l’organisation du bien-être d’un territoire. Comme l’indique le Conseil d’analyse économique « les outils de mise en œuvre de ces nouvelles politiques territoriales ne sont pas des dispositifs centralisés de politiques publiques, mais des initiatives émanant des territoires. »
L’Etat ne doit donc venir qu’en appui, sans imposer ses vues. Une façon heureuse de voir la décentralisation, mais à laquelle il faut donner les moyens financiers et fiscaux pour l’incarner. Ils ne viendront pas de l’Etat. Pire, celui-ci pourrait même contribuer à freiner les ambitions, alors que ce rapport valide l’air de rien la stratégie gouvernementale passant par une contractualisation différenciée.
Mais les contrats de Cahors justement, qui obligent les collectivités signataires à limiter la hausse de leur dépenses de fonctionnement à plus ou moins 1,2 % par an, pourraient pousser les 122 communes et 53 intercos signataires à réduire ce genre d’investissement, naturellement gourmand en dépenses de fonctionnement et notamment de personnels.
Sans attendre l’aide financière de l’Etat qui ne viendra probablement plus, c’est donc aux élus locaux d’imaginer de nouveaux modes de financements pour de nouveaux investissements plus immatériels destinés à de nouveaux usages mais pour une même finalité : faire société.