Le politologue Yves Mény appelle cela « la stratégie du baobab », cet arbre dont la majesté ne permet à aucune plante de grandir dans son ombre. Malgré la fin, depuis 2017, du cumul entre un siège de parlementaire et une fonction exécutive locale, des édiles empilent les mandats territoriaux de manière à garder la haute main sur leurs terres.
Tout un champ des possibles s’ouvre toujours à eux. Contrairement à une idée répandue, le cumul « horizontal », c’est-à-dire de plusieurs des mandats locaux en même temps, n’a pas été aboli. Et Emmanuel Macron n’envisage pas de s’y attaquer.
Un patron d’une collectivité territoriale peut toujours être membre de l’exécutif d’une autre, à condition que ce ne soit pas au poste de président.
Un cumul qui peut s’accompagner aussi de la présidence d’une intercommunalité à fiscalité propre. Un système dont Christian Estrosi (LR) tire le meilleur parti à Nice.
Champion de France du cumul, le maire de la septième ville de l’hexagone occupe le poste de président délégué de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Il pilote également la métropole de Nice-Côte d’Azur. Un grand ensemble urbain qui présente un budget d’environ 1,5 milliards d’euros.
Mais contrairement à une commune de 30 habitants, la métropole de Nice-Côte d’Azur n’entre donc pas dans les règles les plus drastiques de calcul du cumul.
Maire multi-casquettes au Havre
Par ailleurs, comme toute règle, l’interdiction de cumuler la présidence deux collectivités de plein exercice, a son exception.
Le Conseil constitutionnel a en effet admis un régime de tolérance jusqu’en 2020 pour la ville de Lyon et la nouvelle métropole de Lyon, seul groupement urbain pourvu du statut de collectivité de plein exercice. Une brèche dans laquelle s’est engouffré le sénateur PS Gérard Collomb, patron des deux structures rhodaniennes entre 2014 et 2017.
Au total, 100 maires sont aujourd’hui présidents de leur intercommunalité et vice-président d’un conseil départemental ou régional (NDLR : le titre de « président délégué de Christian Estrosi équivaut à une fonction de premier vice-président).
229 maires sont vice-présidents de leur intercommunalité et vice-président d’un conseil départemental ou régional.
Un phénomène particulièrement répandu au sein de la droite, vague bleue aux élections locales de 2014 et 2015 oblige.
Ainsi, le successeur d’Edouard Philippe à la tête de la ville et de la communauté d’agglomération du Havre, Jean-Baptiste Gastinne (LR), siège aussi au cœur de l’exécutif régional normand comme vice-président aux ports et transports.
Mandature florissante à Evry-Courcouronnes
Parmi les cumulards en charge de grands groupements urbains, figure aussi l’homme fort de la métropole de Metz depuis 2008, Jean-Luc Bohl (UDI), maire de Montigny-lès-Metz, mais aussi premier vice-président de la région Grand Est.
A Courcouronnes (Essonne), Stéphane Beaudet (Ex-LR) a pris une trajectoire ascendante depuis le dernier scrutin municipal de 2014. Non seulement il est resté maire de sa commune quand elle a fusionné avec Evry, mais il a aussi décroché le poste de premier vice-président au sein du nouveau grand ensemble intercommunal Grand Paris Sud (350 000 habitants).
Autant de mandats que le patron de l’Association des maires d’Ile-de-France occupe en parallèle de son poste-clé de vice-président aux transports de la première région de France, l’Ile-de-France.
D’autres ne se contentent pas de leurs trois fonctions. Par exemple, la maire UDI d’Amiens (Somme) Brigitte Fouré, également vice-présidente d’Amiens Métropole et de la région Hauts-de-France est aussi vice-présidente de l’UDI.
Nouvelles stratégies de carrière
Depuis la loi de 2014 interdisant le cumul entre un mandat de parlementaire et une fonction exécutive locale, de nouvelles stratégies de carrière se dessinent. Au moment de faire des choix, les grands ensembles territoriaux, dopés par la réforme de François Hollande au milieu des années 2010, attirent souvent davantage qu’un Parlement, où députés et sénateurs peinent à faire entendre leur voix.
« Les postes, les budgets et les opportunités se trouvent dans les collectivités », juge Julien Aubert (LR), auteur de « Salaud d’élu » (éditions Cent mille milliards, 2016). « Un député, à Paris, n’est qu’un parmi 577, abondait juste avant les législatives 2017, l’ancien pensionnaire du Palais Bourbon René Dosière. A contrario, dans sa collectivité, c’est lui le patron, avec tous les attributs que cela suppose : une salle d’attente, une secrétaire, un grand bureau, une voiture, un chauffeur… »
Avant même l’application de la loi anti-cumul en 2017, Gérald Darmanin avait fait le choix du local. Il avait quitté l’Assemblée nationale pour se consacrer à ses mandats de premier magistrat de Tourcoing, vice-président de la métropole européenne de Lille et numéro trois des Hauts-de-France, méga-région qui dépasse les 6 millions d’habitants.
De même, Etienne Blanc (LR), aujourd’hui candidat à la mairie de Lyon, avait fait une croix sur le Palais Bourbon dès 2016. Maire historique de Divonne-les-Bains, dans l’Ain, de 1991 à 2016, il occupe depuis 2016 le fauteuil de premier vice-président de la super-région Auvergne/Rhône-Alpes.
Refuge des professionnels de la politique
Le cumul constitue une assurance-chômage pour les élus battus à une élection. Les professionnels de la politique le savent mieux que quiconque. A Grasse, l’ancien directeur adjoint de cabinet du maire, Jérôme Viaud (LR) s’est taillé un véritable fief depuis 2014.
Maire, président de sa communauté d’agglomération et vice-président du conseil départemental des Alpes-Maritimes, il a de quoi voir venir. Son collègue David Lisnard (LR) aussi. Egalement ancien collaborateur d’élu, le maire de Cannes cumule exactement les mêmes fonctions que Jérôme Viaud à Grasse.
Un cumul des mandats qui s’accompagne d’un cumul des indemnités… sous réserve de ne pas dépasser le plafond.
La somme maximale est aujourd’hui fixée à 8 434,85 euros. Un montant qui ne sera pas revalorisé à l’occasion du projet de loi Engagement et proximité, le Gouvernement et le Parlement préférant rehausser les émoluments des« petits » maires.
Méthodologie
Les données proviennent du Répertoire national des élus, produit et mis à disposition par le ministère de l’intérieur et remis à jour trimestriellement. Elles peuvent donc ne pas être complètement à jour. Les chiffres que nous indiquons permettent donc d’avoir une idée globale des cumuls locaux. L’ensemble des noms cités dans l’article a été vérifié, en revanche les noms dans le tableau n’ont pas pu tous l’être. Sont considérés comme mandats exécutifs, outre celui de maire, les présidences et vice-présidences d’intercommunalité, de conseil départemental ou régional.
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