Les maires ont été touchés par la reconnaissance manifestée par Emmanuel Macron lors de son discours mardi, mais se disent en attente d’actes. Vous comprenez ?
Bien sûr ! Le Président a justement beaucoup insisté sur les actes. Je retiens surtout qu’il a mis les maires et le Président de la République au centre de la République, puisqu’il s’est qualifié de « maire de la commune France ». Il a aussi été très sincère en reconnaissant qu’il n’avait pas eu le parcours « classique » d’un président de la République, avec une succession de mandats locaux. Mais vous savez, quand j’ai commencé à faire de la politique, certains me disaient que je ne pourrais pas être maire parce que je n’avais pas fait la guerre…
Le projet de loi Engagement et proximité est fait pour les maires. Et pourtant, le Sénat est vent debout après les modifications en commission à l’Assemblée. Comment l’expliquez-vous ?
C’est très surprenant de la part du Sénat. Car enfin, nous présentons un projet de loi de 33 articles, qui sort du Sénat avec 123 articles. .Ensuite, c’est bien à l’Assemblée de se prononcer ! Je ne comprends pas la position de Gérard Larcher dans vos colonnes. Sur les indemnités, par exemple, la commission des lois a validé la version qu’avait proposée le Sénat, considérant qu’elle était meilleure, et le président du Sénat dit le contraire ! Nous avons d’autres points d’accord et le travail entre les deux chambres a permis de trouver des écritures stabilisées : l’exercice « à la carte » des compétences facultatives des intercommunalités par exemple. En matière de compétences optionnelles, le Gouvernement a réaffirmé qu’il ne souhaitait pas les supprimer car nous souhaitons être les garants de la stabilité institutionnelle. Stabilité qui nous a d’ailleurs été demandée par tous les élus locaux, et notamment ceux des plus petites communes, adhérentes de l’AMF ! Et c’est pour servir cet objectif que nous sommes d’ailleurs favorables à stabiliser leur nombre. Je ne comprends pas les déclarations guerrières, surtout si elles sont inexactes.
Comment expliquez-vous cette crispation sur le transfert de l’eau ?
La transition écologique doit nous faire mesurer que l’eau n’est pas un sujet qui se gère seulement au niveau d’une commune. Il est inacceptable qu’1 litre sur 4, voire 1 litre sur 2 d’eau potable soit perdu à certains endroits et les communes doivent mettre leurs moyens en commun pour y répondre. Pourquoi ça ne passe pas ? Ça m’évoque Manon des Sources : l’eau, dans les campagnes, dans le monde agricole, c’est un symbole très fort et je le comprends. C’est pourquoi pour les communes dont l’expérience et la situation géographique leur permettent une bonne gestion de la compétence, nous avons favorisé des assouplissements : la minorité de blocage pour les communautés de communes, la délégation pour les communautés de communes et d’agglomération.
C’est aussi un sujet qui demande beaucoup de pédagogie : certains croient que si l’eau passait à l’EPCI, ils ne pourraient plus faire de régie, ce qui est totalement faux. Il n’y a pas non plus l’obligation d’un prix unique de l’eau ! Il y a en réalité déjà une grande liberté, mais qui est méconnue.
Est-ce que ce rejet du transfert de l’eau n’est pas surtout la marque d’un rejet de l’intercommunalité ?
Mais arrêtons d’accuser l’intercommunalité ! L’intercommunalité permet de maintenir le réseau des communes. L’intercommunalité, c’est aussi une question de femmes et d’hommes qui les gèrent. C’est une question de management, d’association des élus. C’est la raison pour laquelle nous avons inscrit dans le projet de loi « Engagement et proximité » le pacte de gouvernance, la conférence des maires, tant d’occasions d’évoquer et de régler les difficultés potentielles de lien entre communes et intercommunalités. J’ai aussi constaté que les tous élus ne connaissent pas tous les outils disponibles. Il faut donc développer la formation, et nous avons prévu des ordonnances pour améliorer les dispositifs existants.
Cette remise en cause de l’interco a complétement éteint les volontés d’améliorer la légitimité démocratique des intercos, a fortiori la question du suffrage universel direct… Y seriez-vous favorable ?
Installer le suffrage universel direct pour les conseillers communautaires, c’est changer de modèle. Or, je défends aujourd’hui l’intercommunalité, selon le « modèle de 1999 » : les coopératives de communes. Je crois que les communes ne peuvent plus agir seules mais que les intercommunalités ne doivent pas agir sans elles.
Mais en l’état, les EPCI gèrent des budgets bien plus grands que les communes, pilotent des projets structurants de territoire, et les électeurs ne peuvent toujours pas se prononcer…
C’est vrai. Il faudrait que, lors des élections municipales, soit soumis aux électeurs, pas seulement le projet communal, mais aussi le projet intercommunal. Je pense qu’on s’y achemine et le suffrage universel par fléchage est une première base. Je pense également que bien des communes et des intercommunalités en France fonctionnent sur la base d’un accord politique autour d’un projet ou d’une vision commune pour leur territoire. C’est possible !
Que peut proposer le projet de loi 3D sur le plan de la décentralisation ?
Le Président et le Premier ministre ont fixé le cap et la méthode : nous ouvrons une grande période de concertation nationale et territoriale avec les élus, les associations d’élus et les parlementaires. Le Gouvernement avait identifié les champs prioritaires de la transition écologique, du logement et des mobilités. François Baroin a ajouté, la culture et le sport…
La France a connu des vagues de décentralisation mais il nous reste à parfaire en supprimant les doublons et en faisant un transfert financier réel. Mais décentraliser une compétence c’est aussi décentraliser la responsabilité de son exercice. Si la collectivité prend la compétence, elle ne peut en appeler à l’Etat au premier problème. Nous envisageons par exemple le transfert de routes nationales aux départements. Mais pas forcément pour tous ! Si la Savoie en a fait le souhait, ce n’est pas forcément le cas en Lozère. Nous sommes dans une période de différenciation : on ne va pas faire la même chose partout de la même manière. Adaptons-nous aux réalités locales, c’est là, la vraie évolution que nous proposons.
Allez-vous recentraliser le RSA, qu’a mentionné le Président de la République mardi ?
C’est une question qui sera posée, comme d’autres. On parlera aussi des routes, des petites lignes de chemins de fer, de l’emploi, des zonages fiscaux, de la biodiversité, de la rénovation énergétique …
Pour vous, Emmanuel Macron est jacobin ou girondin ?
Je dis toujours que les Français sont girondins mais qu’un petit jacobin sommeille en eux. Ce que fait le Président, c’est redéfinir les relations entre l’Etat et les collectivités locales. Le président de la République est à leur image, mais il est régalien, par sa fonction.
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