Chacun dans son rôle. D’un côté, le président de l’AMF François Baroin et son premier vice-président délégué André Laignel revendiquaient 19 novembre lors du congrès des maires le maintien de l’autonomie fiscale des collectivités, encore entamée avec la réforme fiscale dont les dispositions ont été votées en première lecture à l’Assemblée le même jour.
De l’autre, le président Emmanuel Macron défendait une décentralisation cantonnée à l’autonomie financière, déjà définie par l’article 72 de la constitution et confirmée par le Conseil constitutionnel en 2009. Lors de son discours d’ouverture, il a tout simplement étrillé l’autonomie fiscale : « nous avons un fétichisme français : l’autonomie fiscale. Je regarde les grands pays décentralisés autour de nous. Ils sont beaucoup plus décentralisés que nous, mais n’ont pas d’autonomie fiscale. Ils ont une chambre qui discute chaque année des ressources affectées aux collectivités, clairement à chaque niveau. Peut-être faut-il en arriver à ça. J’y suis favorable, parce que l’autonomie fiscale a deux problèmes : il n’y a jamais de fiscalité qui correspond à la bonne compétence donc il y aura toujours de l’illisibilité et de la péréquation. Les seules collectivités qui peuvent avoir une fiscalité propre ce sont les communes car elles ont la clause de compétence générale, c’est pour ça que j’assume le foncier ».
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— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) November 19, 2019
Décentralisation énucléée
Pour le président de la République se dessine une décentralisation sans autonomie fiscale, c’est-à-dire sans véritable pouvoirs locaux, si on s’en tient à la maxime de Michel Bouvier, président de Fondafip : « il n’y a pas de vrai pouvoir politique sans pouvoir fiscal ».
Mais Emmanuel Macron contourne l’obstacle en rappelant d’abord et à juste titre que, jusqu’à présent, « on a décentralisé des compétences sans donner les moyens. Moi je veux bien décentraliser mais si la collectivité ne peut rien faire et qu’elle est un payeur aveugle, elle peut toujours dire qu’elle a la compétence, hein !? ».
Pour appuyer sa démonstration, il cite en exemple les départements et leurs compétences sociales avec notamment le financement du RSA : « Si les départements qui touchent le plus de foncier et de DMTO étaient les départements qui avaient le plus de RSA, la France serait plus heureuse. La ressource fiscale n’a rien à voir avec la dépense. C’est ridicule. Et donc on fait de la bricole en permanence, on fait de la péréquation tous les matins, vous le savez bien ».
Le président va même plus loin : « Il n’y aura jamais de bonne fiscalité pour les départements et les régions. » Pour autant, il ne reste pas sans contre-proposition : « Oui à la décentralisation où les compétences sont accompagnées d’une décentralisation claire des financements qui vont avec une bonne dynamique et la visibilité. Si on trouve des morceaux d’impôt qui ont cette dynamique, allons-y. » Et il en revient au modèle allemand : « Si on pense que c’est en regardant nos voisins qu’il faut le faire, j’y suis favorable et, dans ce cas-là, c’est un changement constitutionnel. Je le dis devant le président du Sénat. J’y suis favorable. » CQFD.
L’AMF à la contre-attaque
L’AMF ne veut évidemment pas en rester là. Lors du forum sur la fiscalité locale organisée lors du congrès le 21 novembre, le secrétaire général de l’AMF, Philippe Laurent a tenu à contre-argumenter : « Ce n’est pas vrai que les collectivités allemandes n’ont pas de fiscalité locale. Il existe bien une fiscalité partagée, qui ne se fait que via un accord entre l’Etat et les Länder avec un droit de veto. Mais les communes ont également une fiscalité propre notamment avec le foncier ».
Pour les élus locaux, la taxe d’habitation se confond avec l’autonomie fiscale. Quand la première disparait, la seconde aussi, même si Olivier Dussopt, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Action et des Comptes publics martèle, avec raison, que le transfert aux communes de la taxe foncière départementale ne change rien en matière d’autonomie fiscale. Mais la question se tranche-t-elle à ce niveau ?
Pas de modèle européen vertueux
On l’a vu dans un dossier fait par la Gazette et le Club Finances sur le sujet, la décentralisation n’entraîne pas automatiquement une plus grande autonomie fiscale et réciproquement. Elle n’existe pas Outre-Manche et peu Outre-Rhin sans dommage, mais n’apaise pas les tensions en Espagne. Les dépenses des collectivités italiennes sont sévèrement contrôlées, sans empêcher les dérapages budgétaires. En Pologne, l’autonomie fiscale est forte, mais les collectivités l’utilisent peu. Bref, il n’y a pas de vérité en la matière.
En revanche, l’architecture et les relations financières entre l’Etat et les collectivités dépendent surtout d’un facteur qui n’a rien de financier : la confiance. Or, de ce point de vue, les relations Etat-Collectivités françaises sont globalement conflictuelles. D’un côté, les coûts directs ou indirects, mais aussi l’érosion permanente des dotations et compensations financières que doit verser l’Etat aux collectivités suite à ses propres décisions provoque, à juste titre, l’acrimonie des collectivités. « Comment faire confiance à l’Etat quand la moitié des communes perdent de la DGF alors que le gouvernement répète qu’elle est stable ? » s’interroge par exemple André Laignel.
D’un autre côté, l’Etat, et particulièrement Bercy, se défie naturellement de tout « pouvoir fiscal concurrent qui pourrait provoquer son éclatement » selon la formule de Michel Bouvier. Mais il se méfie aussi de la propension des associations d’élus à prendre les organes de concertation pour des tribunes politiques, comme ce fut le cas par exemple avec la Conférence nationale des territoires, pourtant une bonne avancée en matière de partenariat. Dans l’acception « relations financières » entre l’Etat et collectivités, le mot le plus important à préserver n’est pas forcément « financier ». Et aucun texte constitutionnel ne saurait suffisant à le restaurer.
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Autonomie financière et fiscale des collectivités : l'exemple européen
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