« Griveaux, Villani, Kimelfeld, Collomb… Plutôt que de chroniquer les guerres d’ego avant les municipales, nous préférons montrer que la démocratie locale dysfonctionne », expose Jacques Trentesaux, cofondateur de Médiacités. Le journal d’investigation locale vient de publier « Municipales : redonnons du pouvoir aux citoyens », un manifeste de « 25 mesures pour une démocratie réelle » élaboré à partir d’entretiens avec des experts de la démocratie locale – parmi lesquels Clotilde Ripoull, présidente de l’Association des élus locaux d’opposition, la maîtresse de conférence en science politique Marion Paoletti, le président de l’association Anticor Jean-Christophe Picard… – et complétées avec l’expérience de terrain des journalistes du média. « Avec ses mesures, nous souhaitons ouvrir un débat nécessaire à la veille des municipales », ajoute Jacques Trentesaux. Soutiens, interrogations, critiques… Chez les élus interrogés par la Gazette des communes, les mesures phares provoquent des réactions contrastées.
« D’une manière générale, ce texte va dans le bon sens pour revivifier la démocratie mais la première proposition est un contre-sens total », lance Yvan Lubraneski, maire des Molières (Essonne, 1957 habitants) à propos de l’élection au suffrage universel direct des élus intercommunaux. Pour Médiacités, elle permettrait pourtant aux électeurs « d’enfin s’exprimer sur le pilotage de ces instances où se détermine l’avenir de leur territoire ». De fait, des années 1990 à la loi NOTre de 2015, les communes ont vu nombre de leurs compétences être transférées aux intercommunalités, sans que ce renforcement de pouvoir ne se soit accompagné d’une transformation du mode de désignation des conseillers qui les composent. Ils sont aujourd’hui simplement « fléchés » sur les listes municipales. Pour le maire, coauteur de Des Communes et des Citoyens, « faire campagne pour devenir président de l’intercommunalité demanderait des moyens énormes et favoriserait les baronnies. »
Banque de la démocratie
D’autres mesures font plus consensus. C’est le cas de la proposition de création d’une Banque de la démocratie, chargée d’avancer « de façon encadrée, sous conditions » l’argent nécessaire aux dépenses de campagne ou de l’inscription d’office des citoyens sur les listes électorales. « Cette dernière devrait s’accompagner d’une obligation de déclaration de résidence au moment de l’installation dans une commune afin de limiter le nombre de mal-inscrits », détaille le secrétaire général de l’Association des Maires de France Philippe Laurent. Lors des élections présidentielles et législatives de 2017, l’abstention constante était ainsi de « 10% pour les personnes inscrites à côté de leur lieu de résidence mais de 33% pour les personnes inscrites dans une région différente de ce dernier », selon Céline Braconnier, professeure de sciences politiques à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye. « La mal-inscription, conséquence de la mobilité résidentielle, affecte tous les milieux, détaille la spécialiste de l’abstention. La mesure proposée par Médiacités, combinée à d’autres, contribuerait à limiter l’abstention pour un coût faible. »
Question d’échelle
Pour prévenir les conflits d’intérêt, le pure player propose aussi d’« instaurer un registre des lobbys locaux ». Une mesure complexe à mettre en œuvre selon Vincent Chauvet, maire d’Autun (Saône-et-Loire, 13635 habitants) : « La paroisse, le club de foot, toute association est un lobby au niveau local. Quant à Enedis, ERDF, Véolia ou les groupes industriels, ce sont nos délégateurs. Un mode de fonctionnement à l’Assemblée nationale n’est pas forcément intéressant à transposer au niveau local. »
Un problème d’échelle qui se retrouve dans d’autre mesures, selon Yvan Lubraneski. Le président de l’Association des maires ruraux de l’Essonne trouve ainsi que la proposition de limiter le cumul des mandats dans le temps à 12 ans « parait tout à fait correct dans les grandes villes. En revanche, en dessous de 9 ou 10 000 habitants, il peut parfois être difficile de trouver quelqu’un de porteur et dynamique. Si c’est pour mettre à l’arrêt les projets en cours, c’est un peu triste. Ce manifeste vient d’un média qui communique essentiellement pour et autour des métropoles. Il manque parfois d’un peu de finesse sur ce qu’est la réalité d’une petite collectivité. » Une critique que comprend Jacques Trentesaux : « Beaucoup des mesures proposées peuvent s’appliquer dans les communes à partir de quelques milliers d’habitants mais il est vrai que nous avons un prisme métropolitain. Il faudrait travailler davantage pour adapter les mesures à la taille des communes. » Le texte, soutenu par une trentaine d’universitaires, associatifs et organisations, est ouvert à la signature, aux commentaires, et aux amendements sur le site de Médiacités.
Liste des premiers signataires
Loïc Blondiaux, Julia Cagé, Christophe Grébert, Marion Paoletti, Nicolas Kaciaf, Nicolas Kada, Julien Talpin, Béatrice Giblin, Yves Lacoste, Gilles Pinson, Jonathan Durand-Falco, Armel Le Coz, Stéphane Vincent, Nicky Tremblay, Dominique Méda, Romain Slitine, Fabien Desage, David Guéranger, Rémi Lefebvre, Frédéric Sawicki, Cécile Vignal, Julien O’Miel, Stéphane Vincent, l’Union nationale des acteurs du développement local (UNADEL), la coordination nationale « Pas sans nous », l’Université populaire de Toulouse et l’Alternative pour des projets urbains ici et à l’international (APPUII).
Thèmes abordés