Citoyens, ne vous réjouissez pas de la disparition de la taxe d’habitation (TH). Ce que vous croyez ne plus payer vous sera prélevé d’une autre façon, plus insidieuse, et en suivant des méandres que vous serez bien incapables de suivre. Car après tout, vous ne travaillez pas à Bercy, et vous cultivez d’autres centres d’intérêt que les finances publiques. On ne vous en tiendra pas rigueur. La fin de la TH, ce sont donc 20 milliards d’euros, grosso modo, que le gouvernement s’est engagé à compenser intégralement.
La TH crée un lien direct entre le citoyen et l’élu
Admettons qu’il tienne sa promesse : comment va-t-il dégoter cette rondelette somme ? Les scénarios sont innombrables et il serait présomptueux d’en décrire un, alors même que cette réforme n’arrivera à son terme qu’en 2023 (en théorie). L’Etat peut réduire ses dépenses, augmenter ses recettes (ou mélanger les deux procédés) pour tenter de présenter un budget digne de ce nom : dans tous les cas, vous serez (sauf à entrer à l’inspection générale des finances) dans l’incapacité de dire ce qu’aura réellement rapporté aux uns et aux autres l’abolition de notre vieille TH.
Injuste, certes, elle l’est, cette taxe d’habitation ne tient que très peu en compte de la capacité contributive du citoyen et s’appuie sur des bases désuètes. On peut lui trouver d’autres défauts mais elle présente un avantage de taille : elle crée un lien direct entre le citoyen et l’élu. Lien que matérialise une feuille d’impôts par foyer avec l’évolution annuelle du taux (que vote la collectivité) et le rappel de la somme acquittée l’année précédente. Que l’établissement de la valeur locative soit complexe, à la limite de l’excentricité bureaucratique, c’est indéniable. Mais le contribuable lambda peut en comprendre une bonne partie : et cela n’est pas neutre. Il peut demander des comptes à son élu (et il le fait) – et signaler son mécontentement dans les urnes, tous les six ans.
La France crée un citoyen privé (et non libéré) d’impôts directs
Nous aurons bientôt, en lieu et place de cette feuille annuelle, une compensation versée par un Etat tentaculaire, en mesure d’actionner des leviers variés et complexes (chômage, santé, retraites…) qui, in fine, dépendent tous de lui, et que de rares experts maîtrisent, dissimulés dans un épais brouillard financier.
Recevoir un avis d’imposition, c’est un privilège. Qu’il s’agisse des prélèvements locaux ou de ceux sur le revenu, nous acquittons consciemment une somme que nous réclame la puissance publique – et qui la rend débitrice envers nous : nous commettons l’acte de payer, nous savons combien (au centime près, le site des impôts est remarquablement conçu), et nous voyons évoluer, à la hausse ou à la baisse, cette contribution.
Hélas, peu à peu, la France crée un citoyen privé (et non libéré) d’impôts directs : la moitié des foyers ne paye pas l’impôt sur le revenu (IR), et le contribuable locataire va vivre bientôt dans le même état : la déconnexion fiscale, c’est un recul démocratique, doublé d’une arnaque politique. Tout le monde paye la CSG, qui rapporte bien plus que l’IR. Mais qui est capable de dire combien ?
A peu près personne. La feuille d’impôt, fût-elle numérique, c’est aussi la ligne de partage entre le citoyen informé de ses efforts et son voisin exonéré, qu’on laisse flotter dans les limbes de la fiscalité nationale – et désormais locale.
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