Le droit à la différenciation pour les collectivités territoriales est au goût du jour. La facilitation de sa mise en œuvre est un objectif annoncé par le gouvernement depuis le début du quinquennat. D’où sa place réservée dans le projet de révision constitutionnelle, l’étude publiée début octobre par le Conseil d’Etat sur l’expérimentation et l’arrivée du projet de loi « 3D » en 2020, relatif à la décentralisation, la différenciation et la déconcentration.
On ne part pas de zéro en la matière. Plusieurs textes ont créé des situations différentes selon les territoires. Citons la loi « montagne » (1985), la loi « Paris, Marseille, Lyon » (1982), la loi relative aux compétences de la collectivité européenne d’Alsace (2019)…
Droit de dérogation
Mais la différenciation est déjà amorcée dans la sphère déconcentrée. Depuis 2013, les préfets sont incités à mettre en œuvre une interprétation facilitatrice des normes suffisamment imprécises pour leur laisser une marge de manœuvre. Depuis le décret n° 2017-1845 du 29 décembre 2017, ils bénéficient même d’un droit de déroger à certaines normes ! Beaucoup s’accordent à dire que les préfets devraient avoir le droit d’aller encore plus loin.
C’est le cas des sénateurs, qui ont adopté le 24 octobre une proposition de résolution relative à la consolidation du pouvoir de dérogation aux normes attribué aux préfets. Les auteurs estiment notamment nécessaire de renforcer l’information des agents publics, des élus et de l’ensemble des bénéficiaires potentiels sur l’existence et les modalités du pouvoir de dérogation attribué aux préfets grâce à un guide de bonnes pratiques qui serait diffusé aux préfectures et aux exécutifs locaux.
Les pensionnaires du Palais du Luxembourg considèrent également qu’il faut élargir le champ de cette possibilité de déroger aux normes une fois l’expérimentation close. On peut lire dans l’exposé des motifs de la proposition de résolution que « le décret qui pérennisera le droit de dérogation ne comportera pas nécessairement de liste de matières dans lesquelles ce droit peut s’exercer. Le préfet pourrait ainsi déroger en toutes matières relevant de ses compétences pour les décisions individuelles fondées sur des normes réglementaires ».
Risque de concurrence
Les sénateurs en profitent pour exprimer leur conviction de la nécessité d’accorder ce même pouvoir de dérogation aux autorités décentralisées. Sur les actes individuels relevant de leur compétence bien sûr, mais aussi sur les normes législatives ou réglementaires. Ce qui tombe bien, puisque tel est l’objectif du gouvernement, qui a inscrit cette mesure dans le projet de révision constitutionnelle.
Mais un tel pouvoir de dérogation pour les collectivités inquiète. Une concurrence différenciatrice entre collectivités peut voir le jour, dont on a observé les prémisses lors des débats parlementaires autour de la loi « Alsace ». De plus, une différenciation mal maîtrisée entraînera de facto de l’insécurité juridique et de la complexité normative. Il faudra donc veiller à l’encadrer. Reste à déterminer comment.
Références
- Décret n° 2017-1845 du 29 décembre 2017 relatif à l'expérimentation territoriale d'un droit de dérogation reconnu au préfet
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