Leurs oreilles ont encore sifflé, lors de la première lecture du projet de loi sur les maires, au Sénat, du 8 au 22 octobre. Accusés d’être des mammouths en proie à la réunionnite, des mastodontes multipliant les temps de transport des édiles pour mieux donner la main à la technostructure, les très grands groupements ont vu leur nombre monter en flèche avec la loi « Notre » de 2015.
Dans un rapport (1) remis au Commissariat général à l’égalité des territoires et à l’Assemblée des communautés de France (ADCF) à la veille de la convention de cette dernière, les 29 et 30 octobre à Nice, la coopérative Acadie redore le blason d’une triplette d’intercommunalités XXL.
Ces trois ensembles comptent parmi les quatre premiers du pays, en nombre de communes. Leurs racines n’en sont pas moins très différentes. La communauté d’agglomération du Pays basque (158 communes, 306 300 hab.) reflète une préoccupation politicoculturelle ancienne. Sa consœur du Cotentin (129 communes, 180 800 hab.) marque un changement d’échelle impulsé par une première vague de fusions de communes dans le département. Quant au Grand Reims (143 communes, 294 400 hab.), il sonne comme une petite révolution, directement liée à l’avènement des grands ensembles régionaux. Formé, en 2011, de seulement 6 communes, ce groupement constitue la porte d’entrée du Grand Est au bassin parisien.
Un couple avec la région
Ses deux homologues jouent aussi à fond la carte des grandes régions. Au sein de la Nouvelle-Aquitaine, le Pays basque s’affirme comme le troisième pôle métropolitain derrière Bordeaux et Limoges, et le principal accès à l’Espagne. Le nord Cotentin se veut, de son côté, un pôle d’équilibre au regard de la « métropole à trois têtes » composée du Havre, Rouen et Caen.
Autant d’efforts qui plaident en faveur de la reconnaissance d’un couple entre l’intercommunalité et la région. Les auteurs du rapport préconisent la mise en place de « conventions territoriales d’exercice des compétences » dans le cadre des conférences territoriales de l’action publique. En clair, ils souhaitent que les intercos XXL puissent négocier de nouveaux champs d’action avec les régions. Une logique de réseau qui tournerait le dos à « la contractualisation, telle qu’on la pratique depuis la décentralisation », sous la forme d’un « vaste marché du financement public ».
Le document aborde aussi les relations qu’entretiennent les territoires au sein de ces groupements : les changements d’échelle entraînent une « ruralisation » de ces communautés. De cette manière, ils mettent en sourdine les sempiternelles guerres de chapelle entre « les rats des villes » et « les rats des champs ». « Les équilibres et alliances entre territoires se recomposent à chaque sujet. Le consensus est à recréer de manière permanente », soupèsent les auteurs. Une démarche « work in progress » qui exige une palette d’outils. Les commissions thématiques se multiplient. Elles atteignent le chiffre de sept au Grand Reims, de huit au Cotentin et de neuf au Pays basque. Dans ces grands ensembles, « les conférences de territoire » et autres « pôles de proximité » font aussi florès. « Les vrais débats » ont, le plus souvent, lieu là, plutôt que dans les conseils communautaires. Dans ce rapport, la question de la gouvernance se taille la part du lion. Ses auteurs, dont le géographe Martin Vanier, souhaitent relever le plafond du nombre de vice-présidences dans les groupements, aujourd’hui fixé à quinze. L’ADCF plaide en faveur de vingt.
Du tâtonnement à la dynamique
Les auteurs prônent des vice-présidences territoriales, en sus des sectorielles. Une proposition inspirée par la communauté d’agglo Loire Forez. Sur ces terres, ont été désignés six présidents de secteur. Une initiative qui ne fait pas l’unanimité. Certains, lit-on dans le rapport, la jugent « perturbante vis-à-vis de l’entité politique du grand territoire qu’il s’agit de faire grandir ». Mais ce risque, relèvent-ils, est l’essence même de la proposition : « Conduire la communauté, c’est peut-être aussi surmonter ces moments et sujets de divergence à condition qu’ils aient pu s’exprimer. » De ces tâtonnements naît une dynamique incontestable. Au sein des trois groupements, les « bénéfices du changement d’échelle l’emportent de très loin sur les inconvénients ».
« Les bases d’un aménagement du territoire moderne »
Martin Vanier, géographe, coauteur du rapport « Les très grandes intercommunalités : quelle gouvernance pour quel projet ? » (Acadie, octobre 2019)
Que change l’intercommunalité XXL ?
Elle bouleverse la fonction de l’élu, la production des services et le rapport à la proximité. Elle donne à l’intercommunalité une ambition stratégique qu’elle n’exerçait pas auparavant. Ainsi, le Grand Reims s’affirme comme un contributeur du schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet). De cette manière, il pose les bases d’un aménagement du territoire moderne.
Comment expliquez-vous, malgré tout, les « bugs » dans ces groupements ?
L’intercommunalité XXL est difficile à mettre en œuvre là où il n’y a pas de ville-centre ou de « magot ». Mais, en dehors de certains cas comme la communauté de communes Monts et vallées ouest Creuse, je ne crois pas à un retour en arrière. La réversibilité est trop coûteuse et complexe. Ce n’est d’ailleurs pas forcément une bonne chose, car toutes les intercommunalités ne fonctionnent pas bien.
Faut-il un échelon intermédiaire entre ces groupements et les communes ?
C’est l’éternel débat qui a eu lieu dans la métropole du Grand Paris, avec la création des établissements publics territoriaux, et à Aix-Marseille-Provence, avec les pôles qui correspondent aux anciennes intercommunalités. Tout dépend souvent du statut de ces entités. A Reims, la présidente Catherine Vautrin veut bien des relais techniques, en aucun cas des instances politiques.
Cet article fait partie du Dossier
Les grandes intercommunalités, des colosses aux pieds d’argile
Sommaire du dossier
- Grandes intercommunalités : objectif proximité
- Intercos XXL : les cadres territoriaux, gardiens des clés du contact
- Les intercommunalités XXL, des colosses aux pieds d’argile
- Le rapport qui réhabilite les intercommunalités XXL
- « Le lieu de gouvernance essentiel est la conférence des maires »
- « L’intercommunalité, ce n’est pas la course à l’échalote »
Thèmes abordés
Notes
Note 01 « Les très grandes intercommunalités : quelle gouvernance pour quel projet ? », M. Vanier, X. Desjardins, S. Czertok, J. Peter-Jan et E. Pellerin. Retour au texte