Après le choc de l’attentat à la préfecture de Police de Paris au début du mois d’octobre, la question du signalement des personnes en voie de radicalisation revient au cœur du débat. Le président de la République appelle à une « société de vigilance », tandis que le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, préconise des remontées systématiques d’informations. Quelle est aujourd’hui la réalité du signalement en France ? Quels sont les freins et les actions à mener ? Séraphin Alava, professeur d’Université à Toulouse et membre de la chaire Unesco de prévention des radicalisations et de l’extrémisme violent, a répondu au club Prévention sécurité.
Dans le dispositif actuel, le signalement de personnes en voie de radicalisation est centré autour du numéro vert et des cellules de prévention de la radicalisation et d’accompagnement des familles (CPRAF) : quel bilan en tirez-vous ?
Après le discours du ministère de l’Intérieur suite à la tuerie de la préfecture de police, on a eu l’impression que certains médias et de nombreux Français découvraient les dispositifs de signalement mais aussi le fait que la France, comme l’Europe d’ailleurs, était entrée dans une ère de coopération des citoyens pour faire face au fléau de la radicalisation. Or, ces cellules préfectorales existent déjà depuis quelques années, et l’on peut aussi dire qu’elles fonctionnent bien.
Ces derniers mois, on a vu – au sein de ces cellules – une véritable montée en puissance des pouvoirs locaux (métropole, conseil départemental, communes) qui ont su prouver leur efficacité. Mais ce travail de maillage qui permettrait d’avoir des dispositifs complets allant du local à l’État mériterait d’être encore « poussé » plus encore, notamment par les maires.
Les maires ne répondent-ils pas suffisamment aux sollicitations de l’Etat dans le signalement des personnes ?
J’ai le sentiment, alors que nous rentrons dans une phase de campagne municipale, que certains maires ou candidats n’osent pas aller sur ce terrain de la prévention de la violence et de la radicalisation alors que ces sujets, qui ont trait finalement à la tranquillité publique, au vivre-ensemble et aux valeurs que nous partageons, devraient pourtant être au cœur de leurs programmes. Certains ont peur d’être taxés d’islamophobie et/ou de donner du grain à moudre aux extrêmes. Mais les électeurs qui sont sur le terrain savent et ont besoin de réponses.
Aussi, je pense que les élus ne doivent pas avoir peur de nommer les choses pour pouvoir apporter des réponses cohérentes. L’une d’elle peut être de s’appuyer justement sur la population, même sur ces questions qui relèvent de la sécurité. Je crois beaucoup à cette notion européenne de « sécurité démocratique ». Quand des personnes sont en danger, il faut faire participer les populations et faire comprendre que ce n’est pas de la délation. Aujourd’hui, lorsque le dispositif « alerte enlèvement » est activé, personne n’a l’impression que c’est de la délation. Il est en de même pour la radicalisation qui entraîne des personnes, des jeunes dans des spirales mortifères qui mettent leurs vies et celles des autres en danger.
Mais aujourd’hui est-on en mesure de correctement repérer les signes de basculement ?
Effectivement, il ne s’agit pas de signaler tout et n’importe quoi, et surtout des éléments qui relèvent de la vie privée, comme le fait de se convertir à une religion.
Au départ, nos professionnels ont été formés à repérer des profils de radicalisation liés à un départ sur une zone de guerre. Aujourd’hui, il faut reconnaître que nous avons affaire à de nouveaux profils et à de nouvelles radicalités qui peuvent être purement comportementales mais aussi parfois sociétales, comme le fait de développer des charias locales. Donc il est nécessaire de travailler sur ces nouveaux profils et de diffuser ces informations à l’ensemble des partenaires.
Enfin, ce serait une erreur de croire que le seul danger qui nous guette est celui du djihadisme islamique. Il existe des radicalités xénophobes, antisémites, écologiques et il faut aussi être en mesure de repérer aussi ces profils.
Quant à la population, nous devons évidemment être en mesure de diffuser des informations concernant les éléments importants à signaler, comme le fait pour quelqu’un de s’isoler, de s’enfermer ou de ne plus être en mesure de dialoguer.
Dans le cas de la préfecture de police de Paris, il s’agissait de repérer les signes de radicalisation chez un collègue. Aussi, n’est-ce pas plus compliqué d’alerter sur le comportement d’un collègue ?
Oui on vient de le voir, les chemins qui mènent à la radicalisation ont beaucoup évolué et c’est parfois très difficile de repérer quelqu’un qui se met « en veille ». De plus dans le cas de la préfecture de police, vous aviez un agent qui travaillait au sein du renseignement et qui connaissait donc les pièges à éviter.
Mais plus largement, dans la fonction publique, il est absolument urgent de lever le tabou autour de ces questions de radicalisation et d’oser entrer dans le dialogue car aujourd’hui, la réalité c’est que certains voient des choses mais ils préfèrent les taire… Il faut donc travailler sur l’idée que le signalement permet une prise en charge de la personne qui n’est pas forcément policière. L’aide apportée peut être psychologique, éducative…
Il n’est pas question de construire un système où chacun surveille chacun mais bien de sensibiliser les professionnels qui ont en charge du suivi des carrières au fait que parfois, dans le repérage des signaux faibles, on peut aussi aider les personnes à ne pas basculer.
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