Le projet de loi que vous portez entend développer les filières REP (responsabilité élargie du producteur), suivant le principe du pollueur-payeur. En quoi constituent-elles une réponse adéquate ?
Ce principe est le socle de notre politique de gestion des déchets en France. Tout est dans son nom. Ne plus envisager la responsabilité d’un producteur uniquement à l’aune de la mise sur le marché de son produit mais l’étendre également à sa fin de vie, c’était d’une grande modernité il y a 30 ans quand le dispositif est né. C’est essentiel. C’est un système qui pèse sur les industriels, géré par eux avec un niveau d’exigence fixé par l’Etat. Cela les pousse à investir dans des systèmes de recyclage et dans l’innovation. La REP a fait ses preuves.
D’ailleurs, beaucoup de nos partenaires européens l’ont reprise. Mais tout n’est pas parfait.
C’est pourquoi le projet de loi anti-gaspillage compte réformer en profondeur la gouvernance des filières actuelles en leur fixant des objectifs de résultats plutôt que de moyens avec des systèmes de contrôles et de sanctions plus efficaces.
La REP est-elle la réponse unique ?
Non, pas forcément. Je suis pragmatique, si les professionnels nous proposaient un projet alternatif aussi efficace et exigeant pour assumer leurs responsabilités, je ne m’y opposerais pas par principe.
Vous pointez particulièrement du doigt le secteur de la construction. Pourquoi ?
Je ne suis pas là pour jeter la pierre aux uns et aux autres. En revanche, le constat est très clair : en France chaque Français produit en moyenne 4,6 t de déchets par an, parmi lesquelles plus de 3,4 t viennent du secteur du BTP.
Mais une partie importante de ces déchets est déjà valorisée…
Effectivement, dans certains secteurs, comme les travaux publics, les déchets sont plutôt bien valorisés car il s’agit majoritairement de « déchets inertes » [NDLR : gravats, etc. ].
Nous regardons donc plus précisément les déchets du bâtiment, qui représentent près de 46 millions de tonnes. Cela pèse trois fois plus que la poubelle grise ! Or ces déchets ne sont pas recyclés, ou très peu.
Par exemple, seuls 2 % des moquettes collectées sont recyclées. Pour le verre plat, c’est 3 % ! Une aberration alors que l’on manque de sable dans le monde.
Mais avant de recycler, il faut collecter. Or, près de 100 000 tonnes de déchets finissent chaque année dans des dépôts sauvages…
Et cela a un coût ! Pour les collectivités locales, on l’estime entre 340 et 420 M€ par an. Ce qui a évidemment une répercussion sur les contribuables.
L’origine du problème est à chercher en partie dans le manque de solutions pour les artisans. Il leur est parfois compliqué de se débarrasser de leurs déchets. Dans les zones rurales en particulier, ils doivent souvent parcourir un long trajet pour trouver une déchetterie ouverte aux horaires qui leur conviennent. Et quand ils ont la chance d’en avoir une, ils doivent payer la reprise.
Comment entendez-vous résoudre cette problématique ancienne ?
Nous proposons d’abord que les déchets du bâtiment soient repris gratuitement par des déchetteries s’ils ont été préalablement triés. En parallèle, nous voulons mailler le territoire de davantage de déchetteries.
Ces mesures seront financées par les acteurs du bâtiment via la création, le 1er janvier 2022, d’une filière REP (avec éco-organisme ou système équivalent).
En parallèle, d’autres mesures vont être lancées avec la création d’un observatoire national de la gestion des déchets pour consolider l’ensemble des chiffres disponibles sur le territoire et la construction d’un système de traçabilité permettant de mieux connaître où sont produits les déchets, leur parcours et leur destination finale (afin de limiter le marché noir).
Mais le décès du maire de Signes suggère que la réponse doit aller au-delà…
Qu’on se le dise, il n’y a pas de solution miracle qui existe sinon les élus l’auraient déjà trouvée. En revanche nous devons mettre en œuvre une batterie de mesures indispensables comme celles que je viens de donner ou encore le renforcement des pouvoirs de police du maire et l’autorisation de la vidéosurveillance des sites sensibles, par exemple.
La collecte des déchets coûte très cher aux collectivités. Comment leur donner des marges de manœuvre financières ?
Cela coûte effectivement cher même si toutes les collectivités n’ont pas les mêmes niveaux de performance. Ce projet de loi a été pensé pour venir en aide aux collectivités car je veux alléger leurs poubelles. Comment ? En créant de nouvelles filières REP sur les lingettes, le tabac, les articles de bricolage, de jardinage, de sport, les jouets… autant de produits dont la gestion ne repose aujourd’hui que sur leurs épaules et dont certains pourraient être par exemple réemployés. Les REP devront donc désormais soutenir la réparation. C’est de l’emploi local, non délocalisable, à l’instar des ressourceries.
« La mise en œuvre de bonus-malus sur les produits en fonction de leurs caractéristiques environnementales est un engagement fort que je porte dans cette loi. »
Qu’attendez-vous d’un futur système de consigne sur les bouteilles et les emballages plastiques ?
Il n’y a pas que le plastique qui est envisagé mais aussi le verre et potentiellement les cannettes ! Sur les bouteilles en plastique, les objectifs fixés par Bruxelles sont très ambitieux : 90 % d’ici à 2029. Pour la France, c’est un pas de géant ! Notre moyenne nationale est à 55 %. Seuls les pays qui ont mis en place un système de consigne parviennent à atteindre des objectifs aussi ambitieux. C’est pourquoi nous y croyons, ce qui ne signifie pas que c’est simple !
Pourquoi ne pas laisser les industriels s’organiser pour mettre en place cette consigne ?
Parce que ce serait prendre le risque qu’ils mettent en place un système de consigne pour eux et qui ne conviendrait qu’à eux. Or les collectivités et les recycleurs doivent être au cœur du dispositif que nous devons inventer tous ensemble. C’est pour cela que j’ai lancé une large concertation.
Vers quelle solution vous dirigez-vous ?
Rien n’est encore arbitré. Mais ce que je peux d’ores et déjà dire c’est que Citéo [NDLR : entreprise chargée du recyclage des emballages ménagers et des papiers graphiques] contribue aujourd’hui à hauteur de 80 % au financement de la collecte des emballages pour les collectivités. Soyons clairs : cela ne changera pas ! Démystifions les choses !
La vente de déchets collectés n’est pas forcément pérenne. Par exemple, le marché des cartons et papier s’effondre…
Ce qui arrive sur le marché du carton et du papier est lié à la fermeture des importations chinoises d’emballage, alors que la Chine constituait l’exutoire.
Nous sommes dans une phase de transition et devons trouver des solutions pérennes chez nous.
Plutôt que de se focaliser sur la fin de vie des produits, ne doit-on pas modifier la manière dont on les fabrique ?
Bien sûr que si. A leur création, les filières REP étaient effectivement plutôt en charge de gérer la fin de vie des produits. Or, nous voulons aujourd’hui qu’elles se chargent aussi de l’amont, qu’elles mènent un travail d’écoconception. La mise en œuvre de bonus-malus sur les produits en fonction de leurs caractéristiques environnementales est un engagement fort que je porte dans cette loi. Il faut penser à l’impact environnemental d’un produit du début à la fin.
Comment pousser les industriels dans cette voie ?
Les filières REP en auront la charge mais nous allons par exemple aussi mettre en place un indice de « réparabilité » sur les produits qui permettra au consommateur de faire son achat en toute connaissance de causes. Nous voulons également que les pièces détachées soient disponibles en vingt jours et non plus deux mois.
L’objectif est que les industriels conçoivent des produits plus robustes, plus durables et plus facilement réparables.
Vous souhaitez également lutter contre l’usage excessif des emballages plastiques ?
Nous avons signé avec une quinzaine d’entreprises un pacte national qui vise à réduire drastiquement le suremballage et à atteindre, d’ici à 2025, 100 % de recyclage des emballages plastiques. L’originalité de ce pacte réside aussi dans l’obligation qu’ont chaque année les industriels de rendre compte de leurs progrès, vérifiés par des ONG.
La pression publique des consommateurs sur les marques est de plus en plus forte sur ce sujet.
Vous comptez donc sur le consommateur pour faire pression sur les producteurs ?
C’est la stratégie de l’étau. Aujourd’hui, les consommateurs sont prêts. Il faut désormais traduire cet état de fait dans des lois contraignantes et des mesures volontaires.
Cette transition nécessite de l’innovation. Comment comptez-vous encourager cette R & D ?
Cela fait partie des missions des filières REP. Par exemple, dans la filière emballage, nous souhaitons qu’il y ait des budgets directement consacrés à l’innovation. Nous ne pouvons plus accepter que certains producteurs ne prennent pas en compte les conséquences causées par les produits qu’ils mettent sur le marché. Conséquences pesant ensuite principalement sur les collectivités, donc le contribuable.
Les industriels, les collectivités, les entreprises, les consommateurs… Tout le monde doit se mobiliser… sauf l’Etat. N’a-t-il pas, pourtant, un rôle à jouer ?
L’Etat se mobilise déjà ! Cela passe notamment par le biais de l’Ademe qui soutient chaque année pour plus de 160 millions d’euros de projets d’économie circulaire sur les territoires.
Ce soutien a un coût…
Ce ne sont pas des coûts, ce sont des investissements. Nous investissons aujourd’hui dans la transition écologique pour que cela coûte moins cher à l’avenir. Plus on attend, plus il sera onéreux de s’adapter.
N’êtes-vous pas vous-même prise en sandwich, entre cette nécessité d’investir et la difficulté à trouver de nouvelles recettes via la fiscalité écologique ?
Non, pas nécessairement. La transition écologique nécessite en France près de 80 Mds € par an. Environ 40 Mds € sont déjà financés. Nous accumulons chaque année un retard de 30 à 40 Mds €. Ce n’est pas le contribuable qui le comblera via les taxes ou les impôts. En matière écologique, une taxe vise avant tout à changer les comportements, pas à financer la transition.
Sans recettes fiscales suffisantes, où trouver les ressources ?
Il faut transformer le système financier. L’argent est disponible, mais il est investi dans le financement de mauvais projets comme la construction de centrales à charbon.
Le langage de la finance, c’est le risque. Nous travaillons donc, dans le cadre du G7, à faire la transparence sur les risques climatiques, pour qu’ils soient pris en compte à côté du risque financier. Le but est de rendre inintéressant pour les investisseurs les projets mauvais pour la planète.
Cet article fait partie du Dossier
Transition énergétique : des idées neuves pour la planète
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Sommaire du dossier
- Les watts qu’on préfère
- « Transformer le système financier pour prendre en compte le risque climatique »
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