Le président de la République puis le Premier ministre ont annoncé un nouvel acte de décentralisation. A vrai dire, depuis 1982, la recension de ces actes, qui n’a d’égale que l’étendue des débats tenus au sujet de l’opposition entre la France des métropoles et celle des champs, est un commerce prospère : celui du concert des ratiocinations issues des formations et des colloques.
Pendant ce temps, et la ministre de la Cohésion des territoires le reconnut en avril, « dans le grand débat, peu nous parlent de décentralisation ». Même si la grève des électeurs et des écharpes est une ombre qui la recouvre, l’attente à son égard est immense. Elle n’est pas sans emprunter la dimension révolutionnaire qu’exprima Mirabeau le 3 novembre 1789 devant l’Assemblée : « C’est à l’administration de se rapprocher des hommes et des choses. » Ainsi, recourir à la métaphore théâtrale oblige : un acte se justifie dès lors que l’histoire progresse. Tant que la dimension organique continuera de prévaloir, mieux vaut numéroter les scènes que les actes.
A partir de la devise républicaine
La véritable césure est celle qui rétablira la décentralisation dans sa dimension matérielle : sans les personnes, les structures sont un objet dénué de sens. Initier l’organisation décentralisée de la République, celle qui privilégie les politiques, à partir de la devise républicaine, ce souffle qui les inspire et les recouvre. Tel est le défi à relever dans le deuxième acte. La liberté est ce qui, sous réserve de respecter certains objectifs, autorise à choisir entre plusieurs alternatives. La liberté, ou comment sortir pour le législateur de l’absolu de la ligne droite, celle qui ignore les intimités du territoire autrement qu’en érigeant un droit des exceptions, faute d’accorder sa confiance. Une liberté qui s’écarte du triomphe jacondin (néologisme formé de jacobin et girondin inventé en 1969 par l’ancien ministre Edgard Pisani, ndlr), et de la relation infantile qui la caractérise.
L’égalité, au sens de la capabilité que lui a donné Amartya Sen, permet de faire advenir la liberté. Car il ne peut exister de liberté aussi longtemps que l’accessibilité à certains biens publics primaires n’est pas offerte à chacun : santé, mobilités, logement et prise en compte du changement climatique en forment le socle.
Penser avec le citoyen
La fraternité, à rebours de l’actuelle péréquation financière qui n’a d’autre finalité que d’équilibrer des budgets locaux. Redonner son lustre à la péréquation, c’est accepter de réorienter les sommes allouées pour engager une discrimination positive : financer l’accessibilité des biens publics primaires pour tous. Enfin, la fraternité pour enrichir la démocratie représentative : la contraction du temps et la complexité des enjeux, fussent-ils territoriaux, induisent de sortir de l’entre-soi et de penser avec le citoyen.
Le trompe-l’œil d’une réactualisation de certains concepts aussi liquides soient-ils – la différenciation est le dernier en date – fatigue encore un peu plus la conception organique de la décentralisation qui prévaut depuis 1982. Il n’existe nulle fatalité à cela. Le renversement axial que nous proposons est celui d’une décentralisation adulte pour laquelle la devise républicaine est son seul septentrion.
Vincent Aubelle et Nicolas Kada sont auteurs de « Pour une nouvelle décentralisation de la République », Fondation Jean-Jaurès, septembre 2019.
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