Face à l’omniprésence de l’innovation publique, n’existe-t-il pas un risque d’« innovation washing » ?
Il y a encore un an, j’aurais pu dire ça. Aujourd’hui, l’innovation est sortie des discours, l’OCDE vient même d’adopter une déclaration sur l’innovation publique. L’ENA propose à Paris une dizaine de formations continues sur le sujet – un parcours dédié aux élèves admis au tour extérieur, qui ont dix à vingt ans d’expérience -, ainsi que l’atelier « les politiques publiques en 3 hacks ». Des élèves de l’ENA, de l’Inet et de l’école d’ingénieurs Epitech y sont formés au design et à l’approche comportementale, et participent à un hackathon d’une semaine pour développer des projets – dix-huit cette année – contribuant à la démarche de simplification des relations entre les usagers et les administrations. Des méthodes en résonance avec ce que déploient de plus en plus ces dernières. Et les élèves se rendent compte que le module n’est pas une parenthèse ludique, mais une approche qui va devenir leur quotidien.
La formation des individus suffit-elle ?
D’énormes contradictions surgissent au sein des administrations avec le déploiement de l’innovation publique. Schématiquement, deux façons de travailler coexistent entre les « modernes » et les « anciens », ce qui n’est pas sans créer du remue-ménage. Par ailleurs, certains laboratoires prennent de l’importance au sein de leur administration, sans forcément avoir la capacité de la gérer. Il serait intéressant que des chercheurs investissent ce champ de réflexion. Il me semble que cette complexité est moins présente dans les collectivités territoriales.
Que penser du foisonnement d’initiatives propres à chaque administration d’Etat ou de collectivité ?
Pour mettre en relation ces expérimentations, « la cousinade » réunit chaque année les acteurs de la transformation publique. Mais c’est une seule journée par an. Je suis frustrée qu’il n’y ait pas de réflexion globale ou quelqu’un – un ministre ou un secrétaire général – qui porte une vision et orchestre l’innovation publique à une plus large échelle, car chacun a à apprendre des expériences des autres. Dans le cadre des « politiques publiques en 3 hacks », le conseil départemental du Var s’est montré intéressé par l’un des projets consacré au gaspillage alimentaire. Rien n’a abouti pour l’instant car faire travailler ensemble différentes administrations demande du temps. Mais c’était aussi à ça que devrait aboutir l’innovation : en finir avec le travail en silo propre à la fonction publique.
Cet article fait partie du Dossier
L'innovation à tous les étages
1 / 21
article suivantSommaire du dossier
- « L’innovation n’est pas sans créer du remue-ménage »
- Innovation publique : Les agents au centre du jeu
- « Il faut redonner à l’innovation publique son potentiel subversif »
- Avec l’innovation, motivation décuplée, mais organisation chamboulée
- Faire du design de service public, oui, mais comment ?
- Faire du design de service public, oui, mais pour quels résultats ?
- L’innovation publique sur le grill
- Quand les agents du département d’Ille-et-Vilaine forment leurs collègues à l’innovation
- « Les politiques d’innovation ont surtout un impact managérial, très peu financier »
- Redonner du sens à l’action publique par la coconstruction
- Le Pas-de-Calais valorise ses agents « intrapreneurs »
- Designer: un œil qui questionne autrement les politiques publiques
- Ville numérique et innovation : les limites du modèle start up
- La Seine-Saint-Denis mise sur le numérique pour transformer ses services
- Paris insuffle l’esprit start-up à ses agents
- « Nous avons mis en place une e-communauté des acteurs de l’innovation »
- Quand l’administration s’empare de la culture de l’innovation
- L’innovation, ce n’est pas que de la technique !
- Quelles légitimités pour les politiques publiques d’innovation en France ?
- Design de services publics : « Au lieu d’appliquer des solutions préfabriquées, il faut réaliser des expérimentations in vivo »
- A Troyes, la 27ème Région fait rimer décennie et démocratie