Je vous exposais, il y a quelques mois, l’obsolescence du système de la fiscalité et des finances locales. Le processus touche à sa fin, mais l’agonie s’effectue avec une langueur préjudiciable.
Les derniers coups portés vont mécaniquement menacer l’équité même de son fonctionnement. Aussi, le rafistolage n’est plus de circonstances, lorsqu’on sait par surcroit que le changement de paradigme exigera un lissage dans le temps.
Une lecture attentive des derniers mouvements nous révèle cependant des orientations claires, et avec un peu plus d’audace, nous pourrions hâter les nécessaires corrections, à condition d’en admettre les causes et les effets, et de cesser de nous attacher à la sédimentation historique d’un système qui s’effondre, tout comme à une autonomie fiscale qui ne peut plus s’y inscrire.
Péréquation et indicateurs de richesse
La situation du pays et sa géographie économique comme la vie de nos collectivités ont tellement changé au cours du dernier demi-siècle écoulé, que les ressources qui se sont cristallisées sur certains territoires ont dû faire l’objet d’une péréquation horizontale, sans cesse plus forte. L’Etat a aussi réagi, réduisant l’autonomie fiscale, en décorrélant progressivement l’impôt des territoires, et en introduisant des parts d’impôts nationaux.
Il subsiste encore néanmoins des scories qui masquent l’évolution d’ensemble, et surtout les paramètres et indicateurs de richesse et de charges, vecteurs de la péréquation n’ont pas fait l’objet des actualisations exigées par les inclinaisons apportées.
La suppression de la Taxe professionnelle (TP), puis ensuite de la taxe d’habitation (TH), s’insèrent dans cette logique de substitution d’impôts nationaux, indépendamment d’une réduction souhaitable de la fiscalité, mais il convient d’aller plus loin, même s’il faudra prendre garde au maintien suffisant du lien entre le citoyen et la cité, symbole français de l’adhésion à l’impôt.
Dans ce cadre, la TH sur les résidences secondaires subsistante sera très probablement débaptisée et simplifiée, ce pourrait être sous la forme de valeurs différenciées, à raison de la localisation et de l’importance du bien, et indexée tous les 3 ans sur le marché local, sur lequel les collectivités auraient une marge d’action limitée (+ ou – 20%).
Dès lors, quel intérêt aurions-nous à réévaluer un foncier bâti (qui obéit aux mêmes bases sophistiquées et absconses que la TH), en l’état, alors que des valeurs fixes, sur 10 à 12 zones nationales, et pour 6 à 8 types d’immeubles, pourraient obéir aux mêmes règles simplifiées et répondre au besoin. Une régulation par l’entremise d’élus locaux viendrait certainement alléger la gestion actuelle de la DGFIP avec les conséquences budgétaires que l’on imagine. Je l’ai tellement pensé à haute voix qu’il n’est pas impossible qu’on m’entende…
On peut également s’interroger, avec Michel Klopfer, sur le « tsunami » à venir sur les potentiels fiscaux, et plus généralement sur l’ensemble des paramètres intervenant dans le calcul des péréquations et des dotations les plus diverses, lorsque les modifications en cours auront abouti. Il ne semble pas illogique que le système soit rebasé plus conformément à la réalité contemporaine.
Nous devons cesser de nous attacher à l’emprunte historique de l’existant pour réformer, sinon nous continuerons à demeurer furieusement immobiles. La recette s’appelle le lissage dans le temps. Une durée d’un ou deux lustres ne semble pas déraisonnable.
Répartition nouvelle à inventer
Reste que si l’important travail opéré actuellement s’évertue à consolider les situations existantes, et le maintien de leur dynamique et ce, quelle que soit leur justification, la pierre philosophale consisterait à imaginer la répartition nouvelle des ressources, à laquelle la réforme doit parvenir, ce qui répond très souvent à une demande diamétralement opposée à celle que nous entretenons, c’est la deuxième partie à résoudre de notre équation.
L’opération de déconnexion de la ressource du territoire où elle est produite doit nécessairement et corrélativement s’accompagner de la recherche des charges supportées par les territoires et non les habitants, ce qui implique, pour une large part, l’abandon des critères synthétiques assis sur la population, pour déterminer les charges. L’exemple italien des standards de charges (fabbisogni standard) est à cet égard intéressant.
En permettant le chiffrage des grands équipements et des grandes fonctions par type de territoire (où la densité reste bien sûr un élément déterminant), on peut ainsi servir l’aménagement du territoire en priorité et de manière équitable, les charges proportionnelles à la population reprenant ensuite leur juste place.
Nouvelle gouvernance systémique
Nous ne sommes pas les francs partisans d’une égalité à l’euro près, mais une marge de + ou – 20% pourrait satisfaire les dynamiques. Un tel système serait en lui-même péréquateur et éviterait la péréquation horizontale après coup, si douloureuse et contestée. Il imposerait nécessairement de raisonner pour une large part sur la base de territoires, même si in fine, la loi pourra prévoir une répartition de nature à satisfaire les partisans de la seule réalité communale.
La réactualisation simplifiée des bases et l’utilisation de parts d’impôts nationaux permettraient largement la gouvernance verticale du système où les collectivités locales trouveraient une juste place, dans ce que j’appelle une nouvelle gouvernance systémique. Son cadre rénové permettrait en outre de cogérer les excédents de manière verticale, et de développer des politiques territoriales, pour les métropoles et certains territoires moins dotés, tout comme les ajustements nécessaires à la réduction de la dette, à l’instar de chez nos voisins.
Une autre variante du système ainsi modifié pourrait également confier à un gigantesque FPIC la mission de piloter une redistribution horizontale sur les bases des charges standards et de paramètres ainsi recalculés en maintenant une territorialisation plus forte de la ressource.
J’aime moins cette option, car elle facilite la rétention de la manne financière et on a vu comment les conjonctures particulières influent le facteur temps du lissage. Le plafonnement du FPIC actuel est édifiant à cet égard. Moins disruptive, elle serait peut-être de nature à satisfaire plus aisément le conservatisme ambiant, et son pilotage « à la main » pourrait rassurer les plus nantis (?).
En tout état de cause, une prise en compte de la réalité de la situation de notre fiscalité et de nos finances locales est nécessaire, si nous ne voulons pas risquer une crise de type « Gilets jaunes » de nos élus, tant le système prend l’eau. Le colmatage erratique alourdit tout autant le navire, dont le naufrage, pour être différé, n’en est pas moins inéluctable et ce, même si l’Etat semble disposé, en ces temps bénis préélectoraux, à nous doter de « ballasts » plutôt séduisants…
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