Dominique Plihon est professeur d’économie émérite à l’université Paris 13 – Sorbonne Paris Cité et membre du conseil scientifique d’Attac (1). Coauteur de l’article : « Pourquoi manque-t-on d’investisseurs à long terme ? » (2), il propose des solutions qui amélioreraient le financement des projets portés par les collectivités locales. Aujourd’hui, l’épargne à long terme est réinvestie dans des placements à court terme , au détriment des investissements structurants. L’une des pistes serait de permettre aux épargnants d’affecter leurs ressources dans une banque publique de développement chargée de porter les investissements à long terme.
Dans un article universitaire de 2018, vous condamnez le déficit des investissements à long terme lié à la « tragédie de l’horizon ». Pouvez-vous préciser ce que cela signifie ?
C’est un constat partagé par de nombreux économistes. Si l’on prend la question de la transition énergétique, les investissements devraient s’élever à près de 100 milliards par an, or ils sont très faibles. Nous sommes confrontés à la tragédie de l’horizon.
Ces investissements à long terme ne sont pas attractifs : quand ils investissent sur dix ans ou plus dans le projet d’une collectivité, les investisseurs n’ont pas de visibilité. Plus l’horizon s’allonge, plus le risque est élevé. Autre constat, l’externalité, c’est-à-dire le bénéfice ou le coût de l’investissement porté par une collectivité, n’est pas prise en compte par les marchés. Par exemple, une collectivité qui construit une école élève le niveau de savoir et donc, à terme, l’efficacité des entreprises. Cette externalité échappe au calcul de la rentabilité économique.
Pourtant, vous estimez que, logiquement, les investisseurs institutionnels devraient se tourner vers les financements à long terme…
Aujourd’hui, seul un acteur public, non soumis aux critères du marché, comme la Caisse des dépôts, prend en compte les éléments d’externalité dans le choix de ses investissements. Or les investisseurs institutionnels sont par principe des investisseurs à long terme. Il suffit de regarder le bilan des assurances, des fonds de pension ou encore des mutuelles : leur passif est une épargne à long terme, les gens ne vont pas réclamer le remboursement de leur assurance-vie dès demain. Pourtant, leurs placements sont à court terme. Ces acteurs passent leur temps à acheter et à vendre pour bénéficier de sources de revenus importants. La gouvernance de ces fonds est déléguée à des spécialistes qui, du fait d’une forte concurrence, gèrent les portefeuilles selon des critères de rendement, privilégiant une rotation très forte.
Quelles seraient les solutions pour capter cette épargne sur des projets à long terme portés notamment par les collectivités ?
Plusieurs solutions existent, de la plus simple qui consiste pour l’Etat ou une région à garantir l’emprunt d’une collectivité, à la plus intégrée qui vise à créer un fonds souverain, c’est le cas en Norvège, ou une banque publique de développement, comme il en existe une en Allemagne, pour capter une partie de cette épargne. Les épargnants auraient, tout simplement, le choix de placer leurs économies. La Caisse des dépôts, au service de l’intérêt général, pourrait jouer ce rôle mais les choix actuels du gouvernement visent à banaliser cette institution, la réduisant à une banque ordinaire. En remettant en cause le monopole de l’épargne à long terme (assurances, mutuelles…), on favoriserait les investissements à long terme et, ainsi, la capacité des collectivités locales à emprunter dans de bonnes conditions.
Thèmes abordés
Notes
Note 01 Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne. Retour au texte
Note 02 Avec Sandra Rigot, in « Revue d’économie financière », n° 130, 2018. Retour au texte