Alors que les collectivités locales viennent de boucler leur budget prévisionnel, 2018 aura été pour elles une année inédite. Leur situation financière n’a jamais été, en moyenne, aussi satisfaisante. La politique locale de maîtrise des dépenses de fonctionnement a payé, encouragée par la contractualisation financière qui en a limité l’augmentation à 1,2 % pour les 322 plus grandes collectivités. Selon l’Etat, les dépenses de fonctionnement ont progressé, approximativement, de 0,7 % en 2018 – 0,3 % pour les collectivités ayant signé un contrat financier avec l’Etat.
Cette contractualisation a mis en avant deux ratios budgétaires : le besoin de financement et la capacité de désendettement. Non contraignants, ils demeurent au cœur du dispositif, les collectivités s’engageant dans une « démarche volontaire » visant à contenir leur dette. « De manière générale, ces deux ratios sont très importants pour les analystes financiers car ils permettent d’apprécier la capacité des collectivités à respecter leurs engagements bancaires », reconnaît Pierre-Olivier Hofer, directeur associé du cabinet de conseil en finances locales Exfilo.
Pour autant, il faut les évaluer sur la durée et les apprécier, notamment pour les intercommunalités, à la lumière de la montée des compétences. Franck Valletoux, directeur général du cabinet Stratégies financières, va plus loin : « Le ratio de la capacité de désendettement est l’alpha et l’oméga depuis de nombreuses années, mais il tient une place beaucoup trop centrale dans la gestion des collectivités. » Et d’ajouter : « Nous pourrions aller jusqu’à leur dire vous voulez améliorer votre capacité de désendettement ? Arrêtez d’entretenir vos bâtiments ! » De son côté, Nicolas Pernot, directeur général des services (DGS) de la région Grand Est, témoigne de cette préoccupation partagée par les gestionnaires locaux : « Pour préserver ses ratios, la région passe d’une phase d’endettement répondant aux nécessaires investissements à une phase de reconstitution de son autofinancement. »
Cycle électoral
Les collectivités confirmeraient leur entrée, depuis 2017, dans un nouveau cycle d’investissement. Le dernier rapport de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales a acté une hausse des dépenses d’investissement en 2017 (+6,1 %), après trois années consécutives de baisse. En 2018, selon la note de conjoncture de La Banque postale de septembre dernier, la reprise serait de 7 % avec un montant total des dépenses d’investissement de 54,2 milliards d’euros.
Le bloc communal se placerait en tête, cycle électoral oblige. Les intercos devraient connaître la plus forte augmentation des différentes strates. « De manière étonnante, nous avons en effet constaté cette année une progression des investissements dans l’interco alors que nous pensions qu’avec les fusions, les élus prendraient plus de temps pour définir leur politique », estime Pierre-Olivier Hofer. Un constat partagé par Franck Valletoux, qui relève que « même si nous constatons un rattrapage de l’investissement sur 2018 et 2019, un écart important demeure par rapport à la même période du cycle électoral précédent ».
Autofinancement en croissance
Fait surprenant, pour 2018, les collectivités intensifieraient leurs investissements tout en poursuivant, en parallèle, le cycle de reconstitution de leur autofinancement engagé depuis 2015. Selon La Banque postale, ce phénomène serait moindre en 2018 : pour l’ensemble des budgets locaux, les ressources affectées aux investissements (épargne nette + recettes d’investissement + emprunt) seraient de 54,9 milliards d’euros pour des dépenses de près de 54,2 milliards d’euros.
Avec une maîtrise des dépenses de fonctionnement et un accroissement des recettes fiscales, l’autofinancement brut (épargne brute) progresserait de 2,8 % et s’élèverait à 42,8 milliards d’euros. De leur côté, les recettes d’investissements se hausseraient à 11,2 milliards d’euros (+2,1 %). Les ressources permettant de financer les investissements seraient donc en augmentation et, pour préserver leur bas de laine, les collectivités feraient appel à l’emprunt qui progresserait, après deux années de repli, de 4,5 %. L’encours de dette, qui s’amplifierait de 0,5 %, devrait atteindre 182,9 milliards d’euros et représenterait 7,8 % du PIB.
Selon Luc-Alain Vervisch, directeur des études de La Banque postale, l’année 2019 devrait conforter cette tendance : « Nous avons pu étudier une bonne partie des contrats signés et il n’en ressort pas une tendance au désendettement. La dette devrait au contraire progresser un peu jusqu’en 2020. » Un paradoxe ? « Pour l’Etat, l’autofinancement en croissance devrait permettre de réduire le recours à l’emprunt. Mais l’autofinancement permet de rembourser la dette. C’est plutôt un outil de sécurisation indispensable à l’emprunt… à partir du moment où l’on a besoin d’investir », rajoute Luc-Alain Vervisch.
Environnement incertain
L’agence de notation S&P Global Ratings énonce, quant à elle, dans une étude récente, une baisse du recours à l’emprunt à hauteur d’environ 14 milliards d’euros. La direction générale des collectivités locales ne se prononce pas et attend la livraison des comptes de gestion par la direction générale des finances publiques, fin avril, pour publier ses commentaires sur l’exercice 2018. Reste une réalité : dans son rapport de septembre 2018, la Cour des comptes constatait un phénomène récurrent, le surendettement.
Les collectivités ont augmenté leur fonds de roulement de 6,1 milliards d’euros entre 2013 et 2017, et, depuis 2015, elles ont emprunté au-delà de leurs besoins (budgets principaux et budgets annexes). Et d’apprécier que, « pour 2018, il paraît peu probable qu’elles consacrent majoritairement cet autofinancement inemployé à réduire l’encours de leur dette ou à abaisser les impôts locaux alors que leur capacité de désendettement devrait continuer à s’améliorer et que l’exonération progressive de la taxe d’habitation sera en cours ».
Capacité de désendettement
Retour, donc, sur l’un des ratios « vedettes » du débat : la capacité de désendettement. Issu d’une fraction dont le dénominateur est l’épargne brute, aujourd’hui particulièrement abondante, le ratio s’améliore, même si l’encours de dette (numérateur) s’accentue. Selon les observateurs, ce recours à l’emprunt permet de se garantir contre un avenir flou en utilisant au mieux les conditions particulièrement favorables du marché. Angoisse sur leur devenir ? Après avoir vécu d’autres périodes d’instabilité, comme celle de la crise des liquidités ou celle de la baisse des dotations de l’Etat, les gestionnaires locaux, aujourd’hui dans une logique de précaution, consolident leur réserve.
A terme, souligne Jean-Sylvain Ruggiu, directeur du secteur public et des partenariats public-privé de la Caisse d’Epargne, « avec l’annonce des grandes réformes de la fiscalité locale, les collectivités ont peu de visibilité sur l’évolution de leurs finances. Elles sont en attente des recettes dynamiques ». Dans cet environnement incertain, l’emprunt se révèle être la ressource la plus stable. Pour Finance active, le recours à l’emprunt va se maintenir en 2019 et en 2020, voire s’accélérer, « ce qui, d’ailleurs, pourra poser problème au vu de l’objectif clairement affiché du gouvernement de baisser l’endettement des collectivités par le biais de la contractualisation », énonce Vincent Ricolfi, consultant senior.
Pari du désendettement
Le ministère de l’Economie et des finances rappelle que « le respect de l’objectif de réduction du besoin annuel de financement doit permettre la contribution des administrations publiques locales au respect de deux engagements européens : la réduction du déficit public (rester sous le seuil des trois points de PIB) et celle de la dette publique (diminuer le ratio de dette des administrations publiques de cinq points d’ici à 2022) ». De l’avis de Vincent Ricolfi, « cela reste un pari de la part de l’Etat de miser sur un désendettement. En effet, à chaque fois que les collectivités ont dégagé davantage de marges de manœuvre, elles s’en sont servi pour investir et reconstituer leurs excédents ».
Au-delà de 2020 et des contrats financiers, l’Etat ne va-t-il pas revenir sur la question de l’endettement ? Et de quelle manière ? Les collectivités vont-elles diminuer leur capacité d’autofinancement afin de réduire leur dette ? Autant d’interrogations qui, dans cette période de transition, incitent les acteurs bancaires à renforcer leur stratégie d’attractivité et les collectivités à décliner des initiatives innovantes en matière de dette.
témoignages
« En 2019, nous faisons appel à l’emprunt à hauteur de 40 millions d’euros pour développer le numérique dans les lycées. Sur les 433 établissements, il nous en reste 132 à équiper en “lycées 4.0”. Pour les grands projets, l’emprunt de la Banque européenne d’investissement se révèle le mode de financement adapté car les conditions sont excellentes. Sur notre encours actuel, nous avons 220 millions d’euros de dette sous forme de partenariats public-privé, mais leur coût est aujourd’hui plus élevé que celui des prêts. Enfin, nous avons 100 millions d’euros d’émissions obligataires, mais le marché est difficile d’accès. Nous allons privilégier le taux fixe, notre encours actuel étant déjà à 65 % composé de taux fixe. »
Références
Lexique
- Besoin ou capacité de financement : différence entre l’ensemble des dépenses hors remboursement d’emprunts et l’ensemble des recettes hors souscription d’emprunts.
- Capacité de désendettement : rapport entre l'encours de dette à la date de clôture des comptes et l'épargne brute, définie en nombre d'années.
- Epargne brute : recettes réelles de fonctionnement diminuées des dépenses réelles de fonctionnement.
- Epargne nette : épargne brute diminuée du remboursement du capital de la dette.
- Encours de la dette : emprunts et dettes à long et moyen termes restant dus au 31 décembre.
- Fonds de roulement : part des ressources stables qui peuvent être affectées au financement des actifs circulants et au paiement des dépenses.
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La dette, ça peut (aussi) être chouette
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