Spécialiste des entreprises et des politiques industrielles, Benjamin Coriat copréside le collectif des Economistes atterrés, qui a publié en 2017 « Changer d’avenir. Réinventer le travail et le modèle économique » (Paris, Les liens qui libèrent). Cet ouvrage préconise d’orienter toute la politique industrielle sur la transition écologique et sociale en s’appuyant sur une approche territoriale. Enseignant à l’université Paris 13, membre de la direction de l’Institut francilien recherche innovation société (Ifris), Benjamin Coriat avait publié en 1993 le livre « Made in France : l’industrie française dans la compétition mondiale ». A l’international, il est membre de l’organisation Initiative for Policy Dialogue de New York, dirigée par le prix Nobel Joseph Stiglitz.
Dans quelle mesure l’initiative « Territoires d’industrie » peut-elle relancer le secteur ?
On semble donner du pouvoir aux régions et, de façon plus générale, à l’initiative locale, c’est plutôt une bonne chose. Les autorités locales sont souvent très bien placées pour connaître les besoins. Mais j’ai plus que des réserves : 1,34 milliard d’euros, c’est dérisoire pour 124 territoires. Même s’ils n’étaient pas tous retenus final. On ne peut rien faire pour préparer l’avenir avec 10 ou 30 millions. L’impact ne sera que cosmétique. Quand on sait que deux fois 20 milliards ont été dépensés pour le Cice (1) et qu’on accorde 6 milliards à la recherche au titre du crédit d’impôt ! Il faudrait dix fois cela. Redonner la main aux territoires, c’est bien, à condition que les dotations soient suffisantes. Cette initiative s’inscrit dans une vision d’avenir extrêmement faible. On peut craindre un saupoudrage des fonds en fonction des lobbyings locaux. Ce n’est pas avec ça qu’on fait de la politique industrielle.
Quel rôle les collectivités peuvent-elles jouer dans la réindustrialisation ?
Partir du local est très bien, mais cela ne suffit pas. Chaque territoire a son mot à dire, c’est tout à fait souhaitable. Mais il faut être capable d’orienter l’industrie avec des perspectives fortes : la transition énergétique, une nouvelle conception du secteur agroalimentaire… Il faut que les acteurs de terrain se cadrent par rapport à une vision d’avenir. Actuellement, on ne sait même pas sur quels critères vont se faire les choix émanant des territoires ! Ils devraient se faire en articulation avec une véritable stratégie. Rien de tout cela n’est annoncé. Il aurait fallu décider que les critères d’évaluation se feraient sur l’innovation, l’écologie… Si l’on avait mis en avant deux ou trois orientations, comme l’isolation thermique ou les énergies renouvelables, cela m’aurait rassuré. Or, cela n’a pas été fait. Que l’Etat se dessaisisse de ses responsabilités est une erreur majeure. Il fait preuve d’une attitude très court-termiste.
« Innover », « simplifier »… les objectifs annoncés vont-ils dans le bon sens ?
D’après les annonces, le mot « simplifier » cache tout bonnement l’intention de casser une partie de l’environnement réglementaire des entreprises. Cela s’inscrit dans une logique selon laquelle il y a trop de régulation. Les marchés sauraient tout réguler par eux-mêmes. Pourtant, ils sont bien incompétents face aux problèmes de pollution, de bruit… Les 6 milliards de crédits d’impôts pour la recherche seront maintenant distribués sur simple déclaration des entreprises, sans un minimum de concertation. Quand on sait que 70 % du financement des énergies par les banques va aux hydrocarbures, je doute que nous allions vers de grandes innovations ! Autre exemple, il est aberrant que nous importions du bio. Nous sommes incapables de satisfaire notre demande nationale. Il serait pourtant possible de refaçonner l’agro-industrie à partir des territoires.
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