Il y a un an, les élus régionaux et nationaux étaient venus en nombre (1) à Las Vegas pour assister à l’édition 2018 du célèbre salon de l’électronique, le CES (Consumer electronics show), avec l’ambition d’accompagner les start-up dans leur développement. Mais en 2019, la donne a changé. Il semblerait que l’effet « gilets jaunes » soit passé par là et qu’ils n’aient pas pris le risque d’apparaître dans un cadre aux consonances si festives.
Même le secrétaire d’Etat au Numérique, Mounir Mahjoubi, pourtant porte-parole de la French tech s’est abstenu, comme l’a confirmé un membre de son cabinet à nos confrères de La Tribune : « Personne ne veut s’afficher aux côtés de la France privilégiée qui crée des gadgets high-tech, dans la capitale mondiale du bling-bling. Ce serait complètement déconnecté ».
La France devant les Etats-Unis
Les start-up françaises, elles, sont là en nombre pour cette édition 2019. La France a même pris la première place à leurs aux États-Unis en terme de taille de délégation, avec 414 entreprises françaises présentes (sur un total de 4400 présentes au CES), dont 376 start-up (contre 274 en 2018). Et finalement, les régions sont bien présentes aussi, principalement à travers les fonctionnaires territoriaux dont c’est la mission, tandis que seuls 3 ou 4 vice-présidents ont fait le déplacement.
L’an dernier pour rappel, 5 présidents de conseil régional y étaient venus (2).
Photo de famille annuelle de toutes les startups françaises 🇫🇷 présentes au #CES2019 ! Bravo à toutes les startups de La #FrenchTech, toujours plus dynamiques, créatives et innovantes #WeAreLaFrenchTech #LaFrenchTechRises pic.twitter.com/nqeObxQ9rV
— La French Tech (@LaFrenchTech) January 9, 2019
9 régions avancent groupées
Du côté des stands, la stratégie a été modifiée par rapport à 2018 : « On a pris en compte la critique qui nous avait été adressée d’une présence trop éclatée, explique Stéphanie Morley, cheffe du service Technologies du numérique à Business France, et nous avons cherché à fédérer les régions dès le printemps dernier ».
Neuf d’entre elles (3) ont répondu à l’appel et sont ainsi regroupées sur le gigantesque stand de l’agence (où l’on trouve 160 start-up sur les 376 françaises présentes au CES), avec les fameux coqs French tech visibles de très loin dans ce grand hall où les start-up du monde entier se disputent les faveurs des visiteurs.
Il suffit de marcher dans ces allées pour mesurer combien la concurrence est rude. Des rabatteurs sont même chargés de ramener les visiteurs sur les stands des start-up des pavillons japonais, hollandais, israéliens, etc. L’enjeu est de trouver des partenaires, des clients, discuter avec des représentants de grands groupes férus d’« open innovation » (collaboration avec ces jeunes pousses) ou de décrocher des articles auprès des médias (6000 journalistes sur place).
Pour Bernard Uthurry, vice-président du conseil régional de Nouvelle Aquitaine (lire son interview ci-dessous), « cette nouvelle stratégie avec Business France est une réussite. La prochaine étape sera de travailler par thématiques ». Il est vrai qu’il est difficile de s’y retrouver avec cette enfilade de mini stands présentant des produits qui n’ont pas toujours grand chose à voir les uns avec les autres…
Deux régions (Auvergne-Rhône-Alpes et Grand Est) ont donc décidé de faire cavalier seul, et sont positionnées à proximité d’un autre stand français à la taille conséquente, celui de La Poste, un acteur également important de l’écosystème numérique hexagonal.
Le coaching des régions
Bernard Kleynhoff, conseiller régional en charge du développement économique à la région Sud, a fait le déplacement, avec un groupe de 12 start-up locales. « Face à l’enjeu de la transition numérique et à notre volonté de se positionner comme la première smart région d’Europe, nous nous devions d’être ici », estime-t-il.
Au côté de l’élu, Pauline Mouly-Camus, chef de service à la direction de l’attractivité, du rayonnement international et de l’innovation de la région, nous explique sa mission : « Les start-up ont besoin d’être intégrées dans une action collective et d’être préparées au CES en amont. Nous avons lancé une opération en ce sens au mois de mai ».
Concrètement, cela consiste à leur apprendre à bien « pitcher », c’est-à-dire à expliquer son projet en moins de 5 minutes, à soigner ses documents de communication (et notamment la traduction en anglais du site web, etc.) et de préparer une équipe suffisamment importante (au moins 3 personnes) pour avoir une chance de réussir cette mission.
« Pour une start up, l’exercice est un vrai scratch test. Elle va ainsi voir si elle arrive à attirer l’attention », ajoute Stéphanie Morley. Difficile cependant d’avoir des chiffres pour mesurer combien passent ce test…
BeeLife : l’entreprise qui fait le buzz
Exemple avec la jeune pousse BeeLife, qui fait partie de la délégation de la région Sud et pour laquelle les choses se passent idéalement. Créée il y a à peine 6 mois au sein du Technopole de l’Arbois, à Aix-en-Provence, elle vient de recevoir la plus haute distinction du CES : elle fait partie de la sélection des 29 meilleures start-up (« Best of innovation ») décernée par l’association CTA (qui organise le salon).
Son produit – baptisé « Cocoon » – est une ruche connectée, qui utilise un panneau solaire pour assurer son chauffage. L’intérêt est double : « les abeilles qui utilisent habituellement leur énergie pour chauffer la ruche peuvent ainsi la conserver pour se déplacer, car elles doivent aller plus loin (du fait de la perte de biodiversité végétale, ndlr) et risquent de mourir en faisant ce long voyage. Et si l’on dépasse les 40°C, on éradique le Paroa – sans affecter les abeilles -, un parasite qui décime les abeilles », explique son représentant, Pascal Nuti.
Et ce dernier de souligner avec malice que « les régions sont sensibles au fait que les entreprises brillent, car cette lumière rejaillit alors sur eux ». Le produit devrait en tout cas intéresser au-delà des apiculteurs, et notamment les collectivités dans le cadre de leur politique de biodiversité.
« Donner de la visibilité aux start-up est important »
Bernard Uthurry, vice-président du conseil régional de Nouvelle Aquitaine
Les élus régionaux sont moins présent cette année. Comment l’expliquez vous ?
Le climat social est particulier en ce moment, cela nous échappe un peu, mais je considère que la présence d’un élu régional est un devoir quand ces entreprises – avec qui nous avons mené un long travail collaboratif – se retrouvent dans une phase clé de leur développement. Le CES de Las Vegas va leur donner de la visibilité à l’international, c’est important de ne pas le rater. Pour autant, venir ici ne me déconnecte pas des questions sociales soulevées actuellement en France.
Comment les aidez-vous ?
Pour les start-up, il faut réussir à se lancer – c’est le « start » – mais le plus délicat, c’est de se développer – le « up ». Et le chef d’entreprise se trouve souvent isolé et en difficulté par rapport aux dispositifs dont il pourrait bénéficier. C’est donc important de l’accompagner, par des formations et du coaching. Nous leur payons 50% des frais de stand, l’hébergement et le vol restant à leur charge. Et nous mettons un espace de réception et un site internet à leur disposition. Cette opération CES représente 360 000 euros.
Venir à ce salon leur permet de doubler leur réseau professionnel. Pour cette édition, nous avons été plus sélectifs que d’habitude, en ne retenant que 14 des 30 dossiers. Nous avons été vigilants sur l’originalité de leur projet, la capacité à montrer un produit abouti (au-delà d’une vidéo sur un ordinateur) et à avoir un « business model » viable. Et au delà de l’accompagnement, nous prévoyons pour bientôt de les aider en entrant dans leur capital.
Cet article est en relation avec les dossiers
- L'innovation à tous les étages
- L'innovation en pratique
- Smart city : les clés de la ville intelligente
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Start-up et territoires, un pari pour l'emploi
Sommaire du dossier
- Start up et territoires : le terreau est favorable aux jeunes pousses
- La collectivité-soutien de start-up : selon sa taille et ses moyens
- La collectivité-cliente : ouvrir les marchés publics aux start-up
- Start up et territoires : « Le droit n’oblige pas les collectivités à faire compliqué ! »
- Tiers lieux : état de l’art sur un mouvement de fond
- French Tech, la success story des territoires
- CES 2019 : mais que vont faire les collectivités territoriales à Las Vegas ?
- Paris encourage des start-up qui créent des solutions pour mieux vivre la ville
Thèmes abordés
Notes
Note 01 comme le rapportait alors le journal Le Monde Retour au texte
Note 02 Hervé Morin pour la Normandie, Valérie Pécresse pour l’Ile-de-France, Renaud Muselier pour la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, Alain Rousset pour la Nouvelle-Aquitaine, et Jean Rottner pour le Grand Est étaient présents l’an dernier Retour au texte
Note 03 Bourgogne-Franche-Comté, Bretagne, Centre-Val de Loire, Hauts-de-France, Île-de-France, Normandie, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie et Provence-Alpes-Côte d’Azur Retour au texte