L’inflation, future épée de Damoclès des communes. L’indice des prix des dépenses communales en 2018, souvent nommé familièrement « le panier du maire », pourrait s’avérer déterminant dans les prochaines négociations sur les clauses de revoyure des contrats financiers Etat-Collectivités.
+0,25 point de différence
Ce traditionnel panel des achats communaux ne varie en effet pas comme celui de la ménagère. Selon les dernières estimations de la Banque postale présentées à l’occasion du congrès des maires, qui se tient jusqu’au 22 novembre à Paris, l’inflation des achats communaux, hors charges financières, entre juin 2017 et juin 2018, était de 0,25 point supérieure à l’indice des prix à la consommation hors tabac, soit 1,43 % pour la première contre 1,18 % pour la seconde.
En intégrant les charges financières, les taux coïncident : 1,16 % pour le panier des maires, 1,18 % pour l’inflation au premier semestre 2018. Mais « cette situation est extraordinaire », prévient Serge Bayard, le président de la Banque Postale Collectivités Locales, du fait de l’actuelle faiblesse des taux d’intérêt. Ceux-ci sont en effet appelés à augmenter « soit brutalement, soit en douceur » dans les mois à venir à cause notamment du désengagement progressif du programme d’achats d’actifs de la Banque centrale européenne d’ici la fin de l’année, voire le premier semestre 2019, selon la conjoncture.
En d’autres termes, ce sont les faibles coûts financiers actuels – et temporaires – qui permettent aux collectivités de rester dans les clous de l’inflation à la consommation.
La contractualisation met la pression
Cette trajectoire inflationniste du panier serait anecdotique si les collectivités locales n’étaient pas « désormais associées au redressement des finances publiques à travers l’encadrement de l’évolution de leurs dépenses de fonctionnement dans les limites d’une hausse de 1,2 % inflation comprise, soit le rythme quasi-identique à l’inflation calculée lors de cette étude », remarque Luc-Alain Vervisch, directeur des études de la Banque Postale.
Aujourd’hui le problème devient toujours plus aigu avec des projections à 1,7 ou 1,8 % d’inflation pour 2018 et des anticipations à de 1,7 % à 2 % en 2019. Ce qui se traduirait, en termes réels, par des baisses de dépenses importantes dès l’an prochain, si les communes contractualisées veulent respecter leurs obligations.
Les grandes villes pénalisées
Cette gageure sera d’autant plus difficile à tenir que, selon l’étude, si, sur les quatre derniers trimestres pris en compte, ce sont les communes de moins de 3 500 habitants qui ont subi une progression plus élevée de leur indice des prix que les autres strates, les communes de plus de 30 000 habitants, dont les plus grandes sont concernées par la contractualisation, ont connu la plus forte hausse de leur indice à 1,39 % (contre 1,34 % en moyenne), hors charges financières et même 0,97 % (0,92 % en moyenne) en les incluant, alors que l’inflation à la consommation hors tabac n’a atteint sur cette période que 0,9 %.
« C’est pour cette strate que les dépenses de personnel sont les plus élevées (50 % des dépenses totales retenues pour le calcul de l’indice contre 32 % pour les petites communes et 45 % pour l’ensemble) », explique la Banque Postale.
Des menaces pour 2019
Pour le moment, rassure la Banque Postale dans sa dernière note de conjoncture, les dépenses de fonctionnement des 145 communes signataires ne devraient pas dépasser les 1 % de hausse, du fait notamment de la progression très mesurée autour de 1 % des dépenses de personnels. Mais tout comme l’inflation, ces dépenses devraient significativement progresser l’an prochain en raison de la mise en place du PPCR, repoussé à 2019.
La hausse des carburants et de l’énergie n’affecte également pas que les « gilets jaunes ». Cette composante de l’indice communal enregistre ainsi une hausse de 11,6 % sur les quatre derniers trimestres comparés aux quatre précédents dont 7,2 % sur le seul dernier trimestre observé.
Enfin, les coûts de la construction, qui entrent pour 23 % dans la composition du panier du maire, pourraient pousser les feux de l’inflation communale. Avec la reprise des investissement, ils repartent déjà à la hausse : + 2,2 % sur les travaux de bâtiments, et + 2,8 % pour les travaux publics.
François Baroin, président de l’AMF, a donc déjà prévenu l’exécutif en préambule du congrès des maires :
« Le 1,2 % est d’ores et déjà obsolète compte tenu du fait que dans la loi de finances qui est fixée, l’inflation sera de 0,5 point en moyenne au-dessus du taux plafond. Nous prévenons dès maintenant qu’il est hors de question, si la cible n’est pas atteinte pour l’Etat, de passer à nouveau à la caisse dans le cadre d’un contrat qui serait encore plus restrictif encore plus récessif par rapport au différentiel entre le 1,2 et le 1,7 de l’inflation inscrite en loi de finances. »
Les maires tiennent donc prêtes, dans leur panier, quelques tomates pourries à lancer à l’exécutif.
Une santé financière retrouvée
L’étude AMF/Banque de territoires présentée lors du congrès des maires montre que les communes ont bénéficié en 2017 d’un « effet de ciseaux vertueux » qui leur a permis de relancer l’investissement (+ 7,9 %). La quasi-stabilité de leurs dépenses (0,1 %) assortie à une légère hausse de leurs recettes (+0,3 %) – provenant à 62,5 % de leur fiscalité dont la hausse de 0,6 Md€ a exactement compensé la baisse des dotations – a conforté leur épargne brute (+1,2 %) et surtout nette (+5,3 %).
Ce surcroit d’épargne a ainsi incité les collectivités à investir sans augmenter leur dette, quasi stable (+0,1 %). La capacité de désendettement se réduit donc mécaniquement de 5,9 à 5,8 ans : « on est encore loin du seuil d’alerte de 12 ans », constate Myriam Kalybo, l’expert des finances locales de la Caisse des dépôts.
Toutefois, cette reprise de l’investissement communal n’atteint « que » 22,6 milliards, soit 12,7 milliards de moins que lors de la même 4e année du mandat précédent. Pour Philippe Laurent, secrétaire général de l’AMF, ce retard est « irrattrapable ».
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Contractualisation : un nouveau mode de gestion financière à l’épreuve
Sommaire du dossier
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