Votre rapport pour avis sur le « programme n°148 Fonction publique » concerne les crédits de la fonction publique de l’Etat. Pourquoi y consacrer une partie et des propositions sur le management pour l’ensemble de la fonction publique dans les trois versants ?
Ce rapport commente le programme n°148 du projet de loi de finances pour 2019. Mais c’est aussi un outil pour faire passer un certain nombre de messages politiques et accompagner le gouvernement dans sa réflexion autour de la transformation de la fonction publique. Je l’avais fait l’année dernière dans mon rapport pour avis .Je le refais cette année. Qui plus est, le management renvoie à la formation, or la formation c’est l’objet du programme n°148.
Pourquoi avoir choisi la thématique du management ?
Quand on mène un projet de vie, que ce soit dans son travail, dans la transformation des services publics, dans la réforme de la fonction publique ou dans sa propre vie à titre personnelle, il faut arriver à donner du sens, à voir où l’on va et pourquoi on fait les choses.
Aujourd’hui, on constate un défaut de culture managériale dans la fonction publique.
Si on ne ressent pas la motivation à faire les choses, on perd le goût d’œuvrer. C’est très vrai dans le travail et encore plus dans la fonction publique. Or qui donne cette envie ? C’est le manager. Aujourd’hui, on constate un défaut de culture managériale dans la fonction publique.
Ce constat est-il vrai pour l’ensemble des agents ?
C’est surtout vrai au niveau du management intermédiaire, dans les catégories B et C. D’où certaines de mes propositions. Le manager est celui qui donne l’élan et qui accompagne la mise en œuvre de l’action. Il est aussi celui qui connaît, notamment dans le management intermédiaire, les effectifs, les équipes, les agents. Il sait identifier le moment où l’agent n’est plus intéressé par ses tâches quotidiennes, ou lorsqu’apparaît chez lui une difficulté physique. Le manager [est en capacité de faire de la] prospective à partir de ses ressources humaines pour gérer les évolutions professionnelles, les carrières, les mobilités, de façon à dynamiser et à ne pas se retrouver face à des problématiques insolvables.
L’objectif est de diffuser le message et de suivre et dynamiser les carrières des agents dont on a la responsabilité. [Cette démarche] touche les A+ dans leurs fonctions presque régaliennes de managers, mais surtout l’encadrement intermédiaire jusqu’au chef d’équipe de catégorie C, qui n’a jamais suivi aucune formation de management et qui a pourtant un personnel le plus difficile à manager (non qualifié, parfois porteur de difficultés sociales, mais avec une technicité des tâches précises et des problématiques de fatigue physique probantes au cours de la carrière).
Votre rapport vise-t-il plus particulièrement la fonction publique territoriale ?
Pour ce dernier exemple oui, mais pas seulement. Par exemple, à l’Etat, les B et C ne sont ni formés, ni accompagnés à manager.
N’est-ce pas le rôle des catégories A+ de faire « ruisseler » ce management ?
Le ruissellement rebondit sur des marches, autrement dit sur l’encadrement intermédiaire. Quand une décision vient d’en haut et qu’elle ne ruisselle pas petit à petit, qu’elle n’est pas embrassée par l’ensemble des corps intermédiaires, elle tombe dru sur les agents d’exécution, sans être expliquée.
L’Etat centralisé ne s’inspire pas assez des expériences relativement innovantes dans les territoires.
Sur les A+ et les A, la formation est plutôt présente. Elle peut être modernisée, redynamisée au sein de l’Ena, des IRA, du CNFPT… D’où ma proposition pour les A de l’Etat et de la territoriale d’avoir un tronc commun peut-être à partager pour que les deux corps se rencontrent, puissent s’estimer et se respecter. L’Etat centralisé ne s’inspire pas assez des expériences relativement innovantes dans les territoires.
Le plan de réforme de l’Ena pour 2019 opère en matière de formation une ouverture vers les collectivités. Faudra-t-il aller plus loin par exemple sur des formations mutualisées en termes de management ?
Tout à fait. Je fixe un premier but : aux différentes écoles de service public de formation de s’en inspirer. Pour l’ouverture de l’Ena aux collectivités, je fais aussi une autre proposition : il y a de moins en moins de candidats au concours interne de l’Ena, la sélectivité est de moins en moins forte et la qualité des recrutements s’affaiblit. Il y a une forme d’essoufflement dans l’attractivité de cette école et une uniformisation des candidats entrants.
Un territorial dont le régime indemnitaire représente 30% à 40% de sa rémunération n’a pas envie de passer ce concours car la rémunération à l’Ena ne prend en compte que le traitement indiciaire. Je propose donc de mettre en œuvre des mesures de compensation salariale afin de garantir le maintien du niveau de revenu.
Tous les territoriaux n’ont pas vocation à faire l’Ena…
Il faut sortir de la notion de « vocation à » ! C’est fini, les parcours de vocation de toute une vie. Certains territoriaux de catégorie A peuvent très bien avoir envie d’aller travailler à l’Etat. Il faut savoir saisir les opportunités et rebondir. Un territorial qui a travaillé pendant 15 ou 20 ans dans la territoriale et qui a envie de rentrer dans la FPE doit avoir cette possibilité. Cela va même enrichir les diplômés de l’Ena et favoriser la diversité. Il faut favoriser ces pluralismes, ces allers-retours, y compris entre le public et le privé.
L’’Ena, c’est 80 personnes par an ; ce n’est pas l’alpha et l’oméga des catégories A.
L’’Ena, c’est 80 personnes par an ; ce n’est pas l’alpha et l’oméga des catégories A. Il faut engager une réflexion pour initier des troncs commun de formation entre le CNFPT et les IRA et faire en sorte que la territoriale sache que l’Etat centralisé regarde les savoir-faire et les expérimentations des territoires et construit sa loi en fonction de ces retours d’expérience. Et inversement. C’est nécessaire pour arriver à une transformation des services publics et de la fonction publique.
C’est la même logique de rencontre des différents publics formés et de niveaux de qualification pour organiser ensuite les mobilités entre versants. Il faut que, entre territoriale et Etat, les A parlent aux A.
Comment allez-vous gérer l’autonomie des collectivités par rapport à la formation des B et des C et encourager les employeurs territoriaux à faire plus pour ces agents ?
L’approche n’est pas budgétaire. Elle est plutôt de dire que lorsqu’un agent prend des responsabilités de management suite à une mobilité, celle-ci s’accompagne obligatoirement d’une formation. On ne contrarie pas la libre administration des collectivités, mais on valorise l’agent qui devient manager.
Le coût de ces formations ne risque-t-il pas de bloquer les mobilités ?
Non car, pour cas, nous sommes plutôt sur des formations de deux jours qui permettent déjà de bien équiper des agents qui deviennent chef d’équipe.
Vos propositions sur le management et la formation impliquent-elles de revoir le périmètre d’intervention du CNFPT et des centres de gestion ?
La mission parlementaire Savatier – Belenet, dont les conclusions sont attendues en décembre, doit creuser cette question. Il y a de toute évidence une réflexion à avoir. Le CNFPT s’est déjà investi dans une redynamisation de son offre qui n’est peut-être pas encore tout à fait aboutie ni réactive par rapport aux besoins.
Les centres de gestion sont sur un modèle décentralisé qui est à la fois un avantage et un inconvénient et ne sont pas tous au même niveau. Il faut réinterroger leurs fonctions et voir comment les deux structures peuvent travailler ensemble, à la bonne échelle.
Le management, la mobilité et la gestion des RH, qui relèvent d’un cadre plus technique, sont-elles des actions à mettre sur le même plan ?
Tout cela appartient à la même sphère. Pour bouger il faut y avoir été préparé, à la fois par le manager et grâce à la formation. Mais il faut aussi huiler le système RH, technique et administratif,. On a un statut [de la fonction publique] à la fois lourd et souple.
On peut faire beaucoup de choses avec le statut, pour peu que l’on s’en empare réellement
On peut faire aujourd’hui beaucoup de choses avec le statut, pour peu que l’on s’en empare réellement d’un point de vue technique et administratif. C’est très méconnu et peu utilisé parce que assez complexe techniquement. Et une image assez négative circule. Mais les DRH le savent : le statut est un outil assez génial pour réguler les missions, les postes, organiser les services, etc.
Et si c’est un peu trop compliqué, il faut assouplir le dispositif. C’est l’idée aujourd’hui. Mais en tout état de cause, le statut est selon moi un atout majeur pour que l’Etat, les centres hospitaliers et les collectivités organisent leurs ressources humaines en fonction des missions qu’on veut les voir remplir.
Un contrat, c’est un salaire eu égard à une mission sur un temps donné ou infini. Il y a zéro souplesse. Avec le statut, on est propriétaire de son grade, mais pas de son poste
C’est une souplesse que les contrats n’offriront pas. Un contrat, c’est un salaire eu égard à une mission sur un temps donné ou infini. Il y a zéro souplesse. Avec le statut, on est propriétaire de son grade, mais pas de son poste : on peut bouger, organiser, dynamiser tout ça. Le contrat, non.
Le statut est le meilleur outil pour organiser la mobilité mais le gouvernement choisit de généraliser le contrat…
Ce n’est pas contradictoire. Le statut, avec les assouplissements qui vont, j’espère, arriver dans le projet de loi [sur la fonction publique], permettra la mobilité entre versants, entre collectivités, entre postes, etc. Le contrat intervient pour organiser la mobilité entre le privé et le public. Avec la loi « choisir son avenir professionnelle », les fonctionnaires peuvent désormais aller travailler cinq ans dans le privé, tout en ayant une continuité de leur carrière dans la fonction publique.
Il ne faut pas croire qu’un CDI ou un CDD coûtent moins chers qu’un fonctionnaire sous statut
Avec le projet de loi, le salarié du privé pourra venir dans la fonction publique pour une période donnée avec une mission précise. Le contrat prend tout son sens dans ce va-et-vient, mais ne va pas remplacer le statut. Le contrat donne une liberté au moment du recrutement aux employeurs publics, mais une contrainte dans la gestion et pour la sortie du contrat.
Aucun employeur public ne sera dupe : le contrat permet juste la liberté pour le recrutement.
Il ne faut pas croire qu’un CDI ou un CDD coûtent moins chers qu’un fonctionnaire sous statut, à qui on va demander de changer ses missions ou quitter la collectivité de façon négociée. Il est très difficile de faire changer de mission à un CDI, et on ne se sépare pas facilement d’un CDI quand on s’est trompé dans le recrutement. Aucun employeur public ne sera dupe. Le contrat permet juste la liberté pour le recrutement. C’est plus subtile qu’un débat pour ou contre le statut ou le contrat.
Quid de la formation des contractuels ?
J’attends de lire le contenu du projet de loi fonction publique sur ce point. Le sujet va être de savoir quelle formation leur sera délivrée en termes de droits et devoirs des fonctionnaires, puisqu’ils sont assimilés, mais sans avoir eu de formation initiale. Il y aura des dispositifs à trouver pour accompagner ces agents sur la déontologie et la connaissance du milieu de la sphère publique.
Comment vous réagissez au propos du gouvernement sur la généralisation du contrat ?
Sur le fond, il n’y a pas de surprise. On va développer le recours au contrat. L’idée est de généraliser la possibilité d’accès à des contrats encadrés par la loi. Gérald Darmanin l’a peut-être dit un peu rapidement. L’oralité des propos sur une radio fait que le raccourci est un peu brutal. Mais sur le fond Gérald Darmanin et Olivier Dussopt sont raccords sur les propositions arbitrées par l’Elysée et qui vont arriver dans le projet de loi. L’idée est de ne pas remettre en cause le statut.
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