La date n’aura pas été mieux choisie par la CJUE. Le 4 octobre 2018, jour des 60 ans de la Constitution française, la cour européenne a condamné la France pour méconnaissance du droit de l’Union (1). Un camouflet juridique, surtout pour l’auteur de ce manquement, à savoir le Conseil d’Etat. Retour sur une condamnation portant non pas sur le fond du litige – le remboursement d’un impôt indûment perçu, à savoir le précompte mobilier –, mais sur celle de la plus haute juridiction administrative.
Renvoi préjudiciel
Mécanisme de procédure, la question préjudicielle (ou renvoi préjudiciel) permet à une juridiction saisie au fond, lorsqu’elle ne peut pas se prononcer en raison d’un problème juridique particulier ne relevant pas de sa compétence, de surseoir à statuer et demander à la juridiction compétente de trancher préalablement cette question. Coutumière en procédure européenne, la question préjudicielle permet donc aux juridictions nationales de demander à la CJUE d’interpréter une règle du droit de l’Union quand celle-ci conditionne la décision de la juridiction de l’Etat membre. Le mécanisme est d’ailleurs prévu aux articles 256 et 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Sauf que cette faculté devient obligation lorsque le juge national est amené à statuer en dernier recours, comme c’est le cas du Conseil d’Etat, cour suprême de l’ordre juridictionnel administratif. C’est donc en toute logique que dans sa décision du 4 octobre, la CJUE reproche au Conseil d’Etat de ne pas avoir procédé à un renvoi préjudiciel alors qu’il y en était obligé. La cour rappelant à cet égard « qu’un manquement d’un Etat membre peut être, en principe, constaté quel que soit l’organe de cet Etat dont l’action ou l’inaction est à l’origine du manquement, même s’il s’agit d’une institution constitutionnellement indépendante ».
Oubli onéreux
Toutefois, cette obligation de saisine de la CJUE ne joue pas, par exception, « lorsque la juridiction nationale constate que la question soulevée n’est pas pertinente ou que la disposition du droit de l’Union en cause a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la cour ou que l’application correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable ».
Le Conseil d’Etat aurait-il considéré, à tort, que son application du droit de l’Union dans ses arrêts s’imposait « avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable » ? Ou a-t-il simplement oublié que toute juridiction nationale suprême qu’il soit, le Conseil d’Etat demeure « sous l’autorité » de la CJUE ? Dans tous les cas, cet oubli du juge administratif sera onéreux pour la France puisque les spécialistes de cet impôt estiment à près de 5 milliards d’euros le remboursement auquel devra s’acquitter le gouvernement français auprès des multinationales qui ont payé à tort ledit impôt.
Références
Domaines juridiques