Le sociologue Jean Viard, ancien candidat LREM aux dernières législatives, a publié au coeur de l’été une note qui se veut une boussole pour l’action territoriale d’Emmanuel Macron, en froid avec les élus locaux.
Intitulée « Pour une politique du territoire disruptive » – dans la plus pure langue macroniste – et publiée sous forme d’essai par la Fondation Jean Jaurès sous le titre Redessiner la France. Pour un nouveau pacte territorial, il nous en livre les principaux enseignements.
Pourquoi décider de plancher sur « un nouveau pacte territorial pour redessiner la France » alors que les notes sur le rôle des métropoles et de la France de la ruralité n’ont cessé de se multiplier ces derniers mois ?
En ce moment, il existe principalement des réflexions éparses alors que deux grands sujets obligent à remettre sur le métier la pensée territoriale. D’abord celui des politiques agricoles qui revient toujours à travailler sur la situation des agriculteurs sans jamais penser aux terres arables. On aménage donc le territoire français sans se poser la question de la sanctuarisation des terres agricoles. Pourtant, les protéger bloquerait l’étalement urbain et permettrait de prendre enfin le temps de réfléchir à l’avenir de la ville.
Seconde réflexion à mener : celle de l’accélération du numérique dans les métropoles. Contrairement à un discours de fond qui se fait de plus en plus fort, il faut défendre les aires métropolitaines. Paris est la ville qui accueille le plus de scientifiques au monde et nous avons en France plusieurs autres métropoles qui ont un rayonnement européen. A nous de faire valoir ces atouts.
N’est-ce pas prendre le risque de fragiliser la cohésion sociale que de s’appuyer seulement sur ces aires métropolitaines alors que le reste du territoire français peine à trouver sa place dans la mondialisation ?
Aujourd’hui, 60% du PIB français est créé au cœur des très grandes métropoles et plus de la moitié rien qu’en Ile-de-France. Il y a donc d’un côté une classe innovante, métropolitaine et de l’autre une foule qui s’installe de plus en plus loin des villes et des nœuds de circulation. Il faut donc se demander comment créer un nouvel ascenseur social qui ne devrait plus permettre d’aller du bas vers le haut de la société mais bien de la périphérie vers le centre. C’est ce que j’appelle « l’ascenseur social horizontal ». Pour cela, il faut parvenir à faire entrer le territoire hors métropoles dans la réalité et dans l’imaginaire des grandes villes.
Pour y arriver, il faut d’abord accepter de cesser d’investir massivement dans une impossible égalité des territoires. Et assumer que les territoires éloignés des grandes métropoles vont en partie être oubliés. La chance de la France est que le tourisme se concentre pour partie sur ces territoires vidés, notamment en montagne et dans le sud. Il ne faut donc pas hésiter à parler de droit à la métropole, même si on en vit loin.
Que voulez-vous dire ?
Ce droit impliquerait que l’essentiel des politiques des grandes régions se transformerait en politiques horizontales d’échange et de complémentarité pour les loisirs, les études, la santé, l’énergie… On pourrait également envisager de fusionner les départements avec les métropoles régionales. De cette façon, les départements ruraux deviendrait des acteurs régionaux qui seraient consultés par les présidents des Hauts-de-France, du Grand Est…
Les associations d’élus demandent toutes aujourd’hui à ce qu’on ne touche plus à la carte territoriale et Emmanuel Macron s’y est d’ailleurs engagé pendant la campagne. N’avez-vous pas l’impression de nager à contre-courant ?
La question n’est pas de savoir s’il faut refaire ou non une réforme territoriale, mais ce qui est utile ou pas. Je fais partie de ceux qui ont soutenu le redécoupage territorial mené par François Hollande. Cependant, la loi Notre a donné une métropole à tous les habitants. Et beaucoup d’élus se sont battus pour avoir « leur » métropole. Certes, j’entends les inquiétudes des élus locaux. Je les connais bien, j’ai d’ailleurs moi-même été vice-président de la Communauté Urbaine Marseille-Provence-Méditerranée (PS).
Mais, le fait métropolitain n’est pas un titre ou une sorte de légion d’honneur. C’est avant tout un processus socio-économique avec des réseaux de transports, des connexions universitaires, des pôles de technologie. Ce n’est pas sérieux de dire que Strasbourg ou Brest sont des métropoles quand on a ces critères en tête. La nouvelle hiérarchie mondiale est celle des villes-mondes et la France ne peut pas accepter de passer à côté de ce phénomène pour ne pas froisser ceux qui aiment jouer aux petits présidents dans leurs territoires.
Vous prônez également une démocratie de la proximité. La France fait pourtant déjà partie des pays avec le plus d’élus locaux…
Aujourd’hui, il y a en moyenne un élu par famille dans les villages, et un élu pour 1 000 habitants dans les grandes villes. Il y a donc un fossé de représentativité qu’il faudrait résoudre, tout particulièrement dans les métropoles. On pourrait par exemple créer des mairies de secteur dans les métropoles. Elles auraient un vrai pouvoir, contrairement aux mairies d’arrondissement de Marseille, Lyon et Paris. Un conseil des maires métropolitains pourrait ainsi dialoguer avec le président de la métropole et apporter une vraie analyse de terrain.
Autre proposition de votre note, instituer dix jours de voyage en France pour tous les jeunes de 16 ans. Cela serait une autre façon d’organiser « le droit à la métropole pour tous » que vous réclamez. Pourquoi ?
Ces dix jours de voyage qui seraient financés en utilisant les logements étudiants vides, en s’appuyant sur les billets non vendus de la SNCF, permettrait à chaque adolescent de découvrir les grandes villes de France. On pourrait imaginer que la moitié du service national obligatoire qui devrait être prochainement mis en place pourrait être destiné à cet usage. Charge aux collectivités de mettre en avant la culture de chaque territoire lorsque les adolescents seront de passage.
Que vont devenir vos propositions ?
Je sais qu’elles sont en train d’être soigneusement lues par ceux qui décident.
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