Ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l’Etat et de la Décentralisation, Marylise Lebranchu a été au cœur de la machine gouvernementale quatre ans durant (2012-2016). Une période marquée par un big-bang territorial, un coup de rabot historique dans les concours financiers de l’Etat et quelques changements de pied élyséens mémorables…
Fidèle au bon vieux précepte chevènementiste selon lequel « Un ministre, ça démissionne ou ça ferme sa gueule », Marylise Lebranchu a épousé la courbe sinusoïdale des réformes. Aujourd’hui dépourvue de toute responsabilité publique, elle a retrouvé sa liberté de parole et sa finesse d’analyse.
Répondant à l’appel de la commission d’enquête sénatoriale sur les mutations de la haute-fonction publique et leurs conséquences sur le fonctionnement sur les institutions de la République, Marylise Lebranchu décrit l’Etat de l’intérieur. Dans sa ligne de mire : la domination de grands corps de l’ENA (L’inspection générale des finances, le Conseil d’Etat et la Cour des Comptes). Une passionnante plongée au cœur de l’administration centrale. Morceaux choisis.
« L’impossible réforme des grands corps »
« La haute fonction publique reste très pyramidale. Comme dans un grand groupe, ceux qui prennent la décision sont les plus éloignés du produit final. On n’a pas réglé le problème de ce que j’appelle l’impossible réforme des grands corps. Lors d’un conseil des ministres, j’ai proposé d’enlever deux postes dans le classement de sortie à l’ENA, l’un à la Cour des Comptes, l’autre au Conseil d’Etat pour les flécher vers le ministère de l’Environnement et le Secrétariat général de la modernisation de l’action publique qui avaient de forts besoins. Le Président m’a dit ‘Bien sûr, il faut le faire’. Cela n’a jamais été fait, parce que dans ces cas-là, il y a des coups de fil entre le directeur de cabinet, le secrétaire général de l’Elysée, celui en charge du Gouvernement… Quand j’ai souhaité, à la sortie de l’ENA, que les lauréats des grands corps exercent 4 ou 5 ans dans les territoires, si possible dans une collectivité, j’ai vu aussitôt le mur se lever. L’Inspection générale des finances, le Conseil d’Etat, la Cour des Comptes et tous les chefs de corps se sont dressés. J’ai réuni leurs représentants. Lors de cette réunion, la seule personne qui se sentait intruse, c’était moi. Naturellement, cela ne s’est pas fait non plus. Sur les textes sur la décentralisation, dont tout le monde connaît la courbe sinusoïdale, je me demandais parfois comment les choses se construisaient… Cela n’a pas empêché un haut fonctionnaire de me dire que j’étais en train de déstabiliser la République. »
«L’enfer pour obtenir la liste des plus hautes rémunérations »
« Ministre de la fonction publique, je croyais qu’il fallait trois minutes pour que j’obtienne la liste des plus hautes rémunérations… Et bien non. Cela a été l’enfer. Le secrétaire général du Gouvernement vous rappelle en vous demandant si c’est vraiment utile, si vous avez vraiment besoin de ça… Toute rémunération publique doit être publique ! Il y a eu aussi la bagarre de la « RH Etat ». Le secrétaire général du gouvernement considérait que c’était son dossier. Le ministère de l’Intérieur estimait que c’était à lui de faire ça. Du coup, le comité interministériel à la modernisation de l’action publique s’est arrêté… Au final, c’est la direction du Budget qui rabote. En un peu moins de quatre ans, je n’ai eu que trois ou quatre discussions interministérielles. Le ministère de la Réforme de l’Etat devrait être ministre d’Etat pour convoquer ses collègues en interministériel. »
« Une méconnaissance totale des collectivités »
« Il y a une pensée unique de la dépense publique. Les collectivités, pour Bercy, sont une machine à dépenser, pas à gérer des compétences. Il y a une méconnaissance totale des collectivités territoriales à la direction du Budget. On croit qu’elles sont d’une très grande richesse parce qu’elles ont des gros dépôts au mois de décembre. Mais c’est simplement parce qu’elles sont entre le débat d’orientation budgétaire et le budget primitif ! Il n’empêche, quand on parle de donner de nouvelles responsabilités aux élus locaux, ces fonctionnaires répondent : ‘Ils ne sauront pas faire’. Je regrette que l’INET n’ait pas été enthousiaste sur le rapprochement avec l’ENA. Quand on rapproche les jeunes et les moins jeunes quand ils sont en formation, on a une chance qu’ils se connaissent ensuite. »
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