Pont écroulé et collège envahi par la boue à La Ferté-Gaucher (Seine-et-Marne), route effondrée à Gourette (Pyrénées-Atlantiques), piscines touchées à Orthez (Pyrénées-Atlantiques), équipes d’entretien de voiries sur-sollicitées un peu partout, et même communes guadeloupéennes envahies par des algues toxiques nécessitant par exemple 500 000 euros d’intervention urgente à Capesterre-de-Marie-Galante : partout les collectivités doivent financer en urgence des travaux et des opérations de nettoyage pour parer les aléas écologiques, appelés à se multiplier en raison du changement climatique.
Développement territorial compromis
Ce nouveau risque pose la question du financement pérenne de ces événements devenus récurrents dans certaines zones comme dans la vallée du Gave de Pau, déjà affectée en 2013 par une crue catastrophique. Ce cas mérite de s’y arrêter. Suite à cet épisode, le département des Hautes-Pyrénées avait dû engager de titanesques travaux d’endiguement et de renforcement des routes pour un montant évalué à 116 millions d’euros (à mettre en perspective avec le budget global voté cette année de 475 M€).
La seule commune de Barèges (Hautes-Pyrénées), dévastée par la crue, avait participé à ce chantier à hauteur de 6 M€ financés par subventions de l’Etat et des agences de l’eau, mais avec un reste à charge d’environ 350 000 euros. Pour une collectivité de 180 habitants, ce fut une saignée financière qui a encore aujourd’hui des conséquences durables sur son développement : elle a ainsi repoussé de trois ans le réaménagement de la rue principale et renvoyé aux calendes grecques la réhabilitation et la rénovation énergétique de certains bâtiments publics.
Une taxe Gemapi insuffisante
Pour combler ce trou, il aurait fallu, si elle existait à l’époque, consacrer la totalité de la taxe Gemapi levée par la communauté de communes Pyrénées Vallée des Gaves issue de la fusion de 5 intercos avec la loi Notre, alors que d’autres travaux ont été engagés par d’autres communes membres, également victimes de la crue du Gave et générant de comparables restes à charges.
Ce scénario est appelé à être dupliqué aujourd’hui –mais à fortiori aussi demain – sur tous les territoires concernés par des aléas climatiques destructeurs, des Pyrénées à la Seine-et-Marne en passant par la Guadeloupe. Et si l’on prend le risque écologique au sens large et donc incluant la qualité de l’air, alors tous les territoires français sont concernés.
Dans ces conditions, l’assistance financière de l’Etat et des assurances ne peuvent suffire, pas plus que la taxe Gemapi. Le ministre de l’Environnement, Nicolas Hulot, a d’ailleurs admis devant les élus guadeloupéens qu’avec les moyens actuels, la lutte est inégale :
C’est un phénomène qui nous dépasse. Quand on joue avec la nature, à un moment, le rapport de force s’inverse.
Une réforme fiscale à œillères
A l’heure où nombre d’experts et de représentants d’élus planchent sur une réforme fiscale d’envergure, aucun d’entre eux n’a pourtant évoqué la question des taxes environnementales durables et territorialisées sur le principe par exemple de la taxe Gemapi, mais à une tout autre échelle. Pire, les propositions de la mission Richard-Bur mettent en péril le financement de cette taxe. De même, la proposition gouvernementale d’étudier le transfert d’une fraction de la taxe carbone vers les territoires dans le cadre de la Conférence nationale des territoires, reste sans suite, alors que la séquence finances de la CNT est sur le point de s’achever.
Cette taxe environnementale pourrait, comme la future feue taxe d’habitation, assurer le fameux lien territorial que les élus réclament au nom de l’autonomie financière et fiscale. Elle responsabiliserait les habitants au développement durable de leur lieu de vie, plus sûrement qu’une taxe résidentielle qui porte en soi les mêmes défauts de sens et de visibilité – et donc d’acceptation- que la taxe d’habitation.
Les collectivités s’assureraient également les ressources nécessaires pour engager les travaux d’urgence sans compromettre leurs stratégies d’investissement structurants. On peut même rêver que les préfets puissent les aider en libérant plus facilement qu’ils ne le font actuellement la Dotation de soutien à l’investissement locale (DSIL) – aujourd’hui consommée à moitié – fléchée vers des investissements environnementaux.
Fiscalité du XXIe siècle
« Il n’est pas de pouvoir politique autonome sans pouvoir fiscal », assure Michel Bouvier, le seul chercheur français à évoquer une refonte moderne de la fiscalité locale tenant compte des impératifs environnementaux et numériques. En vertu de ce principe, la taxe environnementale, appuyée par d’autres moyens assurantiels et étatiques, donnerait corps aux politiques publiques d’aménagement durable destinées à parer un risque écologique appelé à prévaloir sur les risques économiques et sociaux.
Mais cette réforme étant bloquée par le dogme de la neutralité fiscale aussi bien pour les collectivités que pour les contribuables, aucun nouvel impôt ne sera donc levé. Avant qu’une véritable fiscalité environnementale soit mise en œuvre, beaucoup d’eau aura donc coulé sous (sur ?) les ponts…
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