Le cabinet de la ministre de la Culture a missionné fin 2017 les Inspections générales des finances, de l’administration, et des affaires culturelles pour faire un état des lieux des directions régionales des affaires culturelles (Drac), dans un double contexte :
- la lettre de mission adressée le 9 en août 2017, par Matignon, à Françoise Nyssen, lors de sa nomination ;
- la réflexion gouvernementale sur la transformation de l’action publique (« Action publique 2022 »).
Intitulé « Revue des missions, de l’organisation et des moyens des services déconcentrés du ministère de la Culture », le rapport met en lumière le fait que le fonctionnement actuel des DRAC ne permet pas de suivre la feuille de route adressée à la ministre. Ce courrier exige en effet de transformer la gouvernance du ministère « avec la volonté de décloisonner, de responsabiliser et d’innover ».
Savoir-faire reconnu
La mission constate un avis général « très positif » sur les Drac et « inhabituel » par son unanimité, malgré la diversité des personnes interrogées : agents, professionnels et plus une vingtaine d’élus.
Ces derniers expriment clairement le besoin d’un “Etat culturel” en région, « garant d’une décentralisation bien comprise ». « La panoplie des métiers que l’on trouve à la Drac est assez exceptionnelle », confirme une présidente d’association des maires d’un département.
Les régions aussi plébiscitent leur travail en ce qu’il donne lieu à des partenariats constructifs avec un « Etat impartial ».
Tensions avec l’administration centrale
Une telle reconnaissance pourra-t-elle cependant perdurer ? Les inspecteurs mettent en effet en lumière plusieurs facteurs qui, à terme, risquent de conduire à une « dégradation rapide » des services culturels déconcentrés de l’Etat.
Le malaise des Drac vient « essentiellement de l’administration centrale dont les défauts se répercutent directement sur elles ». La définition « en silo » et au niveau national des politiques culturelles brident l’innovation et l’expérimentation, « faute de marge de manœuvre ».
Un manque qui, avec la réforme territoriale, se mue en « un handicap ». Et la médiocre qualité du dialogue aggrave les tensions :
Paradoxalement, le rôle des DRAC est bien mieux identifié et considéré dans les régions qu’au sein de l’administration centrale.
Répartition des effectifs déséquilibrée
Le rapport produit un document graphique montrant la répartition déséquilibrée des emplois entre l’administration centrale, les établissements publics et les directions régionales.
(Source : Revue des missions, de l’organisation et des moyens des services déconcentrés du ministère de la Culture)
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Les effectifs des Drac (8%) avoisinent ceux de l’administration centrale (5%) alors qu’elles ont en charge l’intégralité du territoire. Ils sont comparables aux effectifs des petites directions régionales (jeunesse et sport, forêts…), mais contrairement à elles, les Drac ne peuvent pas s’adosser sur des services départementalisés.
Surcharge de travail
La loi Liberté de création, architecture et patrimoine (LCAP) du 7 juillet 2016 a changé les procédures, notamment dans le domaine du patrimoine et de l’archéologie, mais aussi dans celui de la création, avec le renouvellement des cahiers des charges des labels existants et l’apparition de nouveaux (centre d’art d’intérêt national, par exemple). Des changements qu’il faut non seulement assimiler et expliquer aux élus et aux professionnels, mais surtout mettre en œuvre, d’où une surcharge de travail.
Périmètre surdimensionné
La réforme territoriale de 2015 a profondément modifié la structure même de la réalité des territoires que doivent gérer les Drac. Or, « le ministère n’a pas pris en compte l’émergence de nouveaux acteurs territoriaux (grandes régions, métropoles et intercommunalités), qui nécessitait de donner aux Drac les moyens et les marges nécessaires pour accompagner de nouveaux besoins et modes de collaboration ».
Ce qui fait dire à un maire d’une ville-centre de métropole :
Le [directeur de la] Drac, je ne sais pas comment il fait. Il me fait penser à un curé de campagne qui a de plus en plus de paroisses.
Face à ces mutations rapides, les directions régionales des affaires culturelles « n’ont pas été suffisamment accompagnées et soutenues par l’administration centrale ».
800 km parcourus des parapheurs
Autre source de malaise : la trop rapide réorganisation territoriale, la « déshérence » de certains sites et ce que les auteurs appellent “l’allongement des chaînes hiérarchiques”. Exemple : un parapheur devra parcourir près de 800km pour aller du chef de pôle en poste à Châlons-en-Champagne, puisqu’il devra être validé à Metz avant d’être signé à Strasbourg par le Drac…
La carte de la région Occitanie, par exemple, fait entrevoir le temps perdu en déplacements mais aussi l’accroissement de la fatigue et des risques d’accident : [carte page 45]
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Renouvellement des agents compromis
De manière globale, les rémunérations sont moins fortes dans les Drac que dans d’autres services de l’Etat en région ou dans les collectivités territoriales. Douze agents ont d’ailleurs récemment fait le choix de déserter la Drac d’Auvergne-Rhône-Alpes. Et la lenteur des recrutements génère de très longues périodes de vacance.
Plus inquiétant encore, autour de 20% des personnels seront la retraite d’ici 2022… D’où cet appel :
Il apparaît impératif de traiter rapidement [le problème des départs en retraite], de travailler à une meilleure attractivité et de mettre en place des processus de transmission de savoirs et d’expertises.
Une nécessaire adaptation aux nouveaux territoires
Trois préconisations des rapporteurs concernent directement l’organisation territoriale et, par suite, le lien des Drac avec les élus locaux et les acteurs de terrain :
- revoir l’organisation territoriale des Drac issue de la réforme de 2015, par exemple en les adaptant à « la réalité du bassin démographique ou la spécificité des problématiques locales » (mesure n° 6) ;
- « faire de la déconcentration des crédits, des actes et des décisions, la règle générale », soit une autonomie de gestion des aides (par exemple les aides aux lieux labellisés ou aux festivals et compagnies. Une perspective qui suppose un transfert de compétences mais aussi de moyens non fléchés de la centrale vers les Drac (mesure n ° 7) ;
- instaurer un “service dédié” au pilotage des Drac dont le rôle serait d’envoyer un « véritable signal de rééquilibrage de la politique culturelle entre Paris et les régions » (mesure n°9).
Références
- Revue des missions, de l’organisation et des moyens des services déconcentrés du ministère de la Culture
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