En arrière-plan, le château de Chambord sur fond bleu. Sur le devant, une table et deux chaises rouges. Ambiance romantique pour cette photographie sortie en 2010. Si ce n’est que dans ce cadre romanesque, deux bières « 1664 » sont posées sur la table, cette prise de vue ayant servi de campagne publicitaire pour la société Les Brasseries Kronenbourg. Ce qui n’a pas été du goût du domaine national de Chambord. Ce dernier reproche au fabricant de bières de s’être abstenu de demander une autorisation d’effectuer les photos, qui ont été plus tard assorties du slogan « le goût à la française ».
Ce que souhaite le domaine de Chambord, c’est que le brasseur alsacien le dédommage. Somme demandée : 251 000 euros. Selon la personne publique, cela compenserait ce qu’elle considère comme une utilisation privative du domaine public et les revenus perdus, la présence de techniciens et de photographes ayant entravé l’accès des visiteurs. Les juridictions du fond l’ayant débouté, le domaine de Chambord a effectué un pourvoi en cassation. Le Conseil d’Etat a rendu son verdict le 13 avril.
Occupation ou utilisation privative ?
Les juges du Palais-Royal ont estimé que le shooting du plus vaste des châteaux de la Loire ne constitue pas une occupation ou une utilisation privative du domaine public. Pour qu’il y ait occupation ou utilisation privative, il aurait fallu que l’utilisation du bien excède le droit d’usage appartenant à tous. En l’espèce, cela reviendrait à l’utilisation de moyens importants pour les besoins de la réalisation matérielle de cette opération. Ce qui n’a pas été le cas puisque le château n’a même pas dû fermer ses portes.
La société Kronenbourg n’a donc pas fait un usage privatif du château de Chambord. Or, pour que la personne publique puisse demander le versement d’une redevance d’occupation ou d’utilisation du domaine public, il faut qu’il y ait eu un tel usage privatif. Quand ce n’est pas le cas, il est tout autant impossible pour une personne publique de demander le versement d’une indemnité pour occupation ou utilisation irrégulière du domaine public.
L’image des bâtiments nationaux
En parallèle, le domaine de Chambord ne peut pas non plus s’appuyer sur une quelconque assimilation entre l’utilisation à des fins commerciales de l’image d’un bien du domaine public, et une utilisation privative du domaine public, pour demander une indemnisation par le fabricant de bière. Le Conseil d’Etat l’a bien rappelé dans son arrêt : « les personnes publiques ne disposent pas d’un droit exclusif à l’image des biens leur appartenant ». Tous les moyens ont donc été rejetés, et la brasserie a pu utiliser l’image du fameux château gratuitement à des fins publicitaires.
Ce qui pose la question de la valorisation de l’image des bâtiments appartenant au domaine public. Si cette question a été réglée – postérieurement à cette affaire – concernant les domaines nationaux par la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, rien n’est fait à ce jour pour ce qui concerne le domaine public des collectivités territoriales.
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