Dans un rapport intitulé “Rapprocher la culture de l’économie sociale et solidaire” , commandé par la Fondation du crédit coopératif dans le cadre d’un chantier « Culture et ESS » conduit par le Labo de l’ESS, le conseiller culturel Bernard Latarjet, que Françoise Nyssen vient de nommer coordinateur du plan La Culture près de chez vous, pour l’itinérance des oeuvres et des artistes, dresse un double constat :
- d’une part, les secteurs de la culture et de l’ESS n’ont quasiment pas de contacts, ce qui nuit à la valorisation de la place (au demeurant non négligeable) des acteurs culturels associations dans l’ESS ;
- d’autre part, les mutations sociales, structurelles et financières à l’œuvre mettent en grand danger les acteurs culturels associatifs.
Il plaide donc pour un rapprochement rapide des acteurs culturels intermédiaires (ceux qui sont entre le tout public et le tout privé) et ceux de l’ESS. Dans un entretien avec la Gazette, il explique comment ouvrir de nouvelles perspectives pour ces acteurs, qui « constituent l’essentiel de l’offre culturelle ».
- Pourquoi les institutions de l’ESS et les organisations socio-professionnelles de la culture ont-elles si peu de relations et se connaissent-elles si mal ?
- Vos contacts avec le cabinet de la ministre de la Culture vous laissent-ils espérer un engagement au niveau de l’Etat en faveur du développement de l’ESS dans la culture ?
- Quels sont les acteurs – clefs pour le développement de l’ESS dans le secteur culturel ?
- Comment faire, à l’avenir, pour favoriser la production de données chiffrées sur l’ESS culturelle ?
- Comment expliquez-vous que l’écrasante majorité des structures culturelles relevant de l’ESS soient dans le champ du spectacle vivant ?
- Pourquoi une telle sévérité dans votre rapport sur les conséquences de la politique culturelle de l’Etat depuis une quarantaine d’années ?
- Pourquoi ne parle-t-on quasiment jamais des relations entre droits culturels et ESS ?
- Peut-on, et comment, remédier au fait que les structures culturelles hésitent à augmenter leurs fonds propres parce que cela diminue leurs perspectives de subventionnement ?
- Comment évaluer l’utilité sociale des projets ?
- Lors de la journée du 14 novembre dernier, organisée à Paris par Le Labo de l’ESS et la Fondation du Crédit coopératif, un projet de «protocole de mobilisation » a été annoncé. De quoi s’agit-il ?
Pourquoi les institutions de l’ESS et les organisations socio-professionnelles de la culture ont-elles si peu de relations et se connaissent-elles si mal ?
Les rapports avec les organisations socio-professionnelles de la culture sont complexes. Celles-ci défendent en effet des instances diverses, selon la vocation et l’économie de leurs membres. L’UFISC (l’Union Fédérale d’intervention des structures culturelles) qui regroupe onze fédérations et syndicats – soit plus de 1500 structures – est le principal porteur du développement de l’ESS dans le monde culturel. Elle représente en effet ce « tiers secteur », ces 35 000 associations employeuses, qui ne sont ni les établissements « labellisés » majoritairement subventionnés, ni les entreprises du secteur purement commercial.
Elle présente une logique de développement différente de celle des entreprises privées à but lucratif et de celles des équipements publics.
Les organisations qui défendent le secteur public redoutent que l’ESS serve d’alibi à la réduction des subventions. Celles qui défendent les entreprises culturelles privées suspectent les entreprises de l’ESS d’une double insuffisance managériale et artistique.
Quant aux grandes institutions de l’ESS, elles ne s’intéressent guère au secteur culturel. Elles considèrent qu’il s’agit de micro-entrepreneurs fragiles, qui n’ont rien à voir avec les grandes entreprises de l’ESS qu’elles représentent et qui ont des chiffres d’affaires importants et une assise financière solide.
Et pourtant, le CNCRESS dit que c’est dans la culture que l’on trouve le plus d’innovations aujourd’hui en termes d’inventions de nouveaux modèles économiques, de nouveaux modes de coopération etc.
Vos contacts avec le cabinet de la ministre de la Culture vous laissent-ils espérer un engagement au niveau de l’Etat en faveur du développement de l’ESS dans la culture ?
L’intérêt est réel. Il existe un engagement global, à travers les forums “Entreprendre dans la culture”, que le ministère organise désormais avec toutes les régions, les Drac, et avec une fois par an un forum national à Paris.
Cependant, dans ce champ général de l’entrepreneuriat culturel, le champ de l’ESS mériterait d’être mieux pris en compte. Avec mes interlocuteurs de la DGMIC [direction générale des médias et des industries culturelles, ndrl], nous sommes d’accord pour renforcer cette place de l’ESS dans ces forums, pour poursuivre les efforts engagés en faveur de la formation et de l’accompagnement des entrepreneurs de l’ESS.
Il faut avoir conscience qu’avec le resserrement des financements publics, nous sommes face à un vrai risque de fracture des politiques culturelles entre deux catégories : d’un côté, le service public, de plus en plus tributaire des subventions dont le niveau ne suit pas l’accroissement des charges fixes incompressibles et, de l’autre côté, le secteur marchand et concurrentiel. Avec, entre les deux, la précarisation du secteur associatif intermédiaire, qui serait perpétuellement la variable d’ajustement des budgets.
L’Etat se concentrerait alors, d’une part, sur un secteur public fragilisé par la réduction des crédits, et, de l’autre, sur les entreprises culturelles, au sens marchand, dans une logique d’efficacité. Car il est effectivement important que les industries culturelles, menacées par la concentration, et qui assurent une part essentielle de la diversité et de l’accès à la culture, continuent d’être soutenues.
N’oublions pas que le tiers secteur, qui appartient de fait à l’ESS, constitue l’essentiel de l’offre culturelle ! Par le nombre de structures concernées, il permet la couverture territoriale, notamment dans le monde rural, les petites villes et les banlieues. Quant au nombre d’emplois qu’il représente, il est loin d’être négligeable – environ 26 % des emplois culturels. Comment accepter que ce tiers secteur-là soit de plus en plus précaire, voire disparaisse ?
Quels sont les acteurs potentiels du développement de l’ESS dans le secteur culturel ?
L’acteur central du rapprochement entre la culture et l’ESS, ce sont les régions, parce que ce sont elles qui sont situées à l’articulation de l’économie, du territoire et de la culture. Ce n’est pas un hasard si les CRESS sont au niveau des régions, si ce sont les régions qui organisent les forums de l’entrepreneuriat culturel, s’il y a des vice-présidents chargés de l’ESS dans les conseils régionaux, qui organisent les conférences régionales de l’ESS.
Dans les régions où il y a une volonté politique de rapprocher l’ESS et la culture, et où les CRESS s’engagent, avec le soutien politique, financier et logistique de la région, pour assurer cette mise en relation, cela marche. Dans mon rapport, je cite les politiques engagées, par exemple, dans les régions Bretagne et Nouvelle Aquitaine.
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- Rapprocher la culture et l'économie sociale et solidaire
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Politiques culturelles : les mutations économiques ont commencé
Sommaire du dossier
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- Soutien à l’entrepreneuriat culturel : pourquoi les régions sont à la manoeuvre
- Le soutien à l’entrepreneuriat culturel, évolution inéluctable ?
- Les catalyseurs de la mutation économique des politiques culturelles
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- L’ESS culturelle en plein chantier
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