Affaire réglée. Dans son rapport annuel 2018, la Cour des comptes assure que le dossier des emprunts toxiques qui empoisonne les finances publiques particulièrement depuis les années 2000 est quasi-clos. Mais il a coûté cher aux pouvoirs publics : 2 milliards d’euros aux collectivités et un milliard à l’Etat.
Les sages de la rue Cambon estiment en effet que la sortie des « collectivités des emprunts à risque a été techniquement réalisée pour l’essentiel avec succès », mais que si « les risques semblent aujourd’hui maîtrisés, le coût de sortie est élevé pour les finances publiques ».
Tous responsables
Dans cette crise – « l’une des plus graves ayant affecté les finances locales » –, la Cour renvoie dos à dos toutes les parties en présence : d’abord les banques et particulièrement Dexia, qui ont « encouragé la souscription » de ces produits financiers risqués « aux petites communes », puis l’Etat, qui « n’a pas pris la mesure des risques encourus » et n’a pas « mis en place rapidement des dispositifs juridiques et comptables qui auraient évité leur propagation ». Sans oublier les collectivités, dont les « présidents d’exécutifs locaux ont pris des risques inconsidérés pour des avantages de court terme sans en informer correctement leur assemblée délibérante ».
Réfractaires
Si le risque est sous contrôle pour 80 % du montant total de l’encours toxique total (voir chiffres-clés) grâce à la mise en place d’un fonds de soutien aux collectivités à partir de 2013, il reste environ 2 milliards d’encours sensible encore détenu par des collectivités pas toujours pressées de rendre publics des emprunts portant le sceau d’une gestion aventureuse.
Le coût de sortie est aussi un frein. Pour désensibiliser 4,7 milliards d’euros depuis 2014, il a fallu payer autant d’IRA (Indemnité de remboursement anticipé). Le fonds de soutien aux collectivités étant plafonné à 3 milliards d’euros, nombre de collectivités ont donc été obligées de souscrire de nouveaux emprunts englobant le montant de leurs IRA. Ce qui n’a d’ailleurs pas été sans conséquence ces dernières années sur le niveau d’endettement des collectivités, ainsi artificiellement gonflé en pleine période de baisse des dotations.
Une douzaine de cas délicats
Selon la Cour des comptes, les 2 milliards d’euros non-traités par le fonds de soutien sont détenus par 270 collectivités. Mais « les prêts concernés sont peu sensibles ou proches de l’échéance ou concernent des collectivités dont la situation financière permet d’assurer le service de la dette en l’état », assure la juridiction financière, même si « une douzaine de collectivités se trouvent dans une situation délicate », majoritairement des petites communes.
Le risque s’avère d’autant moins grand pour l’Etat que les dernières décisions de justice n’encouragent pas les contestataires à poursuivre le combat dans les prétoires. Les décisions du 21 septembre 2016 de la cour d’appel de Versailles considérant les élus de Saint-Leu-la-Forêt, Saint-Dié-des-Vosges, Saint-Cast-le-Guildo et Carrières-sur-Seine comme « des emprunteurs avertis » a sonné l’hallali des poursuites.
Enfin, les trois refus d’aides à des collectivités portant sur 22,4 M€, actuellement en contentieux, ne menaceraient pas davantage les comptes publics dans la mesure où le reliquat du fonds s’élève, selon la Cour, à 400 M€.
Un impact durable dans les comptes des collectivités
Si l’onde de choc est passée pour l’Etat, il n’en est pas de même pour les collectivités : « même renégociés et refinancés, les emprunts à risque continueront de peser durablement sur la dette et les capacités d’investissement des plus petites collectivités au cours des quinze prochaines années », souligne le rapport.
Au 28 février 2015, le ratio IRA / CRD (indemnité de remboursement anticipé/capital restant dû) atteignait par exemple 123 % pour les communes de moins de 10 000 habitants.
Un coût de sortie élevé pour les collectivités
Initialement abondé annuellement (de 2014 à 2028) à 38,5 puis 88,5 millions d’euros par l’Etat, 50 puis 100 millions par les banques, le fonds de soutien – porté de 1,5 milliard à 3 milliards en 2015 – n’a été consommé qu’à hauteur de 2,6 milliards, réduisant la part annuelle de l’Etat à 60 millions.
La part annuelle des banques, de SFIL et de Dexia, n’a en revanche pas été réduite. Celles-ci contribuent désormais au financement du fonds à hauteur de 66 % du total. Toutefois, cet apport ne concerne que le montant du fonds lui-même. Retraité des IRA, la part des banques au dispositif retombe à 36 % (1,67 milliard), celle de l’Etat à 19 % (894 M€), laissant donc les 45 % à l’entière charge des collectivités, soit 2,12 milliards d’euros d’IRA sur une total de 4,7 milliards.
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Emprunts toxiques : un feuilleton qui touche à sa fin ?
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