Shrinking cities, villes en décroissance, villes en déclin… Les termes sont multiples pour désigner ce phénomène mondial apparu au tournant des années 2000 aux Etats-Unis, en Allemagne, au Japon et depuis les années 2010 en France.
Des petites villes qui décrochent depuis une dizaine d’années
« En 2013, au début de notre travail, le thème de la décroissance urbaine était beaucoup moins visible qu’aujourd’hui, même si on avait identifié que depuis le milieu des années 2000 un certain nombre de villes petites et moyennes avaient commencé à décrocher », a résumé en ouverture du colloque Vincent Béal, maître de conférences en sociologie et membre du laboratoire SAGE de l’université de Strasbourg.
Un groupe de sociologues, démographes géographes, s’est donc réuni au sein du programme de recherche « Altergrowth », financé par l’Agence nationale de recherche, pour mener des études notamment quantitatives sur le phénomène. Avec une question en ligne de lire : les contextes de décroissance favorisent-ils l’émergence de politiques alternatives ?
La décroissance, entre inquiétude et opportunité
« Au départ, les contextes de décroissance sont caractérisés par une série de problèmes : la dévalorisation de l’espace urbain, la vacance résidentielle et commerciale, l’ethnicisation des centres-villes, le poids des charges de centralité. Mais ils sont aussi une source d’opportunités, avec des disponibilités foncières importantes, la faiblesse des dynamiques marchandes, des agendas politiques moins verrouillés », a souligné Vincent Béal.
C’est aux Etats-Unis, où le phénomène est plus ancien, que des politiques alternatives ont été développées, avec une volonté de rompre avec le modèle de la croissance, en privilégiant la qualité de vie des habitants, par exemple en redimensionnant la ville par des opérations de démolition reconstruction, et en favorisant de nouveaux usages comme l’agriculture urbaine. Mais ces stratégies restent ambiguës, et peuvent entraîner des phénomènes de gentrification, et donc d’accroissement des inégalités.
Quatre aires urbaines sur dix en décroissance
Nicolas Cauchi-Duval, également chercheur au laboratoire SAGE, a présenté une étude quantitative éclairante du phénomène de décroissance des aires urbaines entre 1990 et 2013. Sur les 771 aires urbaines, 293 sont en décroissance démographique sur cette période, et 155 ont connu un déclin démographique continu. Le phénomène se concentre sur les bassins miniers, le massif central et la « diagonale du vide », mais aussi dans un ensemble de villes du bassin parisien.
La composante migratoire est le plus souvent responsable de cette baisse de population – il y a plus de départs que d’arrivées de nouveaux habitants. Y sont associés des taux de chômage plus élevés, des taux de vacance des logements plus importants… Le chercheur a identifié plusieurs type de décroissance – dans certains cas, la ville centre et la périphérie sont en décroissance, dans d’autres, seule la ville-centre l’est.
« Une fois le mouvement de décroissance amorcé, il est très compliqué de le stopper, de le réguler, sur des territoires en fort desserrement. Cela pose le problème du dialogue interterritoires, et de la planification urbaine, notamment au travers du Scot », estime Nicolas Cauchi-Duval.
Une difficile inscription à l’agenda politique
Comment les pouvoirs publics français ont-ils pris conscience du problème et s’en emparent-ils ? C’est ce que se sont demandés les chercheurs Sylvie Fol, Marie Mondain et Rémi Dormois, au travers d’une enquête menée en 2015-2016 auprès d’acteurs des politiques urbaines.
En 2015, la question est quasiment absente de l’agenda des politiques urbaines. Certaines politiques ont même contribué à encore plus déstabilisé des villes en décroissance, comme les politiques de rationalisation des services publics sur les territoires, ou le développement de la production neuve dans des villes ayant un fort taux de vacance des logements.
Un thème compliqué à porter estiment les élus
Rémi Dormois a mis en lumière le fait que « les aires urbaines touchées sont plutôt petites. Or, depuis quinze ans, les métropoles sont les cibles principales des politiques de l’Etat. Par ailleurs, les hauts dirigeants de la fonction publique ont une expérience territoriale assez limitée, sauf concernant le périmètre de l’Ile-de-France. Enfin, reconnaître l’existence de ces territoires représente un risque de remise en cause du pacte républicain » souligne le chercheur.
Quant aux élus locaux, qui gouvernent les collectivités via des coalitions, mettre en avant la thématique de la décroissance ne serait pas particulièrement fédérateur.
Le logement, principal sujet
C’est surtout via la question du logement que la thématique a émergé, et notamment du logement social. Aujourd’hui, la prise en compte de la décroissance se fait sur cette thématique au travers du programme national de requalification des quartiers anciens dégradés, porté par l’Agence nationale de rénovation urbaine, ou par le programme national de requalification des centres-bourgs, porté par le CGET.
Un plan pour les villes moyennes dit « Coeur de ville » a été annoncé par le Gouvernement en décembre, mais « les politiques restent pour le moment très standardisées, et la croissance reste l’horizon d’intervention, il est difficile de changer de paradigme », a jugé Sylvie Fol. Annabelle Boutet, du CGET, l’a d’ailleurs reconnu.
Compliqué de faire passer le message pour les centres-villes en déshérence
« Le sujet de la décroissance des villes reste politiquement compliqué. Dans le programme ‘Revitalisation de centres-bourgs’, on voit bien que les stratégies adoptées par les collectivités visent toujours à attirer des familles, et non à prendre en compte la problématique du vieillissement. Il nous faut trouver les arguments politiques pour convaincre de développer une politique autour de ces territoires » a expliqué l’experte.
Pour Michel François Delannoy, chargé de mission projets territoriaux complexes à la Caisse des dépôts et consignations, qui supervise le programme Centre-ville de demain proposé par la CDC, « il faut passer de la gestion de crise au développement de projet territorial. Mais on bute sur des équations très dures, par exemple sur la dédensification : on veut démolir, requalifier, mais comment tenir les équations financières ? Entretenir ces espaces dédensifiés demande plus de dépenses. Si on n’apporte pas une réponse basée sur la solidarité financière entre territoires, on restera bloqué » conclut-il.
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Ces territoires en déclin qui ne se résignent pas
Sommaire du dossier
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- Action Coeur de ville : passer des études aux réalisations
- Les centre-villes commerçants les plus dynamiques mis en lumière
- La difficile reconnaissance du phénomène des villes en décroissance
- Les lauréats du plan Action Coeur de ville partagent leurs bonnes recettes
- Les villes moyennes se construisent un avenir
- Action coeur de ville : Les acteurs privés, attendus et dans l’attente
- Les ministres en campagne pour Action Cœur de ville
- Action coeur de ville : un vaste programme à 5 milliards d’euros sur cinq ans
- Le plan Action Cœur de ville met le turbo
- Action coeur de ville : « Le risque est que ce plan produise des projets gadgets »
- Les heureux bénéficiaires du plan « Cœur de ville » dévoilés
- L’extraordinaire histoire de la communauté de communes du val d’Alzette
- Territoires en déclin : un besoin de dispositifs spécifiques pour les villes qui « rétrécissent »
- Revitalisation des centres anciens, l’urgence d’une « cause nationale »
- Réforme de la carte militaire : il y a une vie après la caserne
- Quand le centre-ville redevient un lieu de commerce attractif
- « L’Etat cherche avant tout à créer de grandes métropoles de niveau européen ! »
- A Saulnières, les vestiges de la grande usine se fondent en un jardin paysager et des logements
- Centres-villes en déclin : la malédiction des villes moyennes
- Le développement des villes durables passe par les friches industrielles
- Territoires en déclin : l’art de la reconquête des friches industrielles et agricoles
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