Une fois n’est pas coutume, les auteurs et les bibliothécaires, souvent en opposition frontale sur la question, sont unis sur le sujet des droits à percevoir sur les représentations d’œuvres en public : pour les uns comme pour les autres, il n’est pas question d’accepter la mise en place, par la Société civile des éditeurs de langue française (SCELF), d’un dispositif de perception de droits sur les lectures d’œuvres à haute voix.
Un débat qui n’est pas juridique
« La tolérance de fait qui prévalait jusqu’à présent convenait à tout le monde. Nous demandons donc le retour à la situation antérieure », plaide Geoffroy Pelletier, directeur général de la Société des gens de lettres (SGDL).
Le débat n’est pas d’ordre juridique : chacun s’accorde à reconnaître comme fondé l’argument de la SCELF qui se réfère à l’article L.122-4 du Code la propriété intellectuelle, selon lequel tout acte de représentation en public est soumis au droit d’auteur.
Mais cela ne suffit pas pour emporter le consentement des bibliothécaires et des auteurs.
Les heures du conte en danger
Au nom de leurs missions de service public et de la promotion de la lecture portée par leurs équipements, et en raison des difficultés budgétaires des communes, les premiers, par la voix de l’ABF, réclame une exonération totale pour ce type d’animations culturelles, très répandues dans les communes, y compris les plus petites.
Avec, notamment, le point sensible, des traditionnelles « heures du conte » destinée aux enfants.
Menace sur une part des revenus des auteurs
Les seconds pointent deux dangers. D’abord, le risque de voir les bibliothèques progressivement renoncer, pour d’évidentes raisons budgétaires, à ce type de programmation culturelle.
Or, « les lectures publiques proposées par les bibliothécaires, comme les libraires sont indispensables aux auteurs. Elles contribuent à les faire connaître les auteurs, ainsi que leurs livres. Il n’est pas donc question de chercher à grappiller quelques euros à cette occasion », explique la SGDL.
La demande de la SCELF lui paraît d’autant plus inconcevable, que les auteurs, depuis 2017, ont l’assurance que les manifestations littéraires soutenues par le Centre national du livre (CNL) prévoient une rémunération des auteurs, selon un barème précis . « Comment imaginer que maintenant, nous demandions aux bibliothèques de payer en plus lorsque l’auteur lit son propre texte ?, s’interroge Geoffroy Pelletier.
Or, ces activités des auteurs, dites « connexes » (ateliers d’écriture, actions d’éducation artistique et culturelle, lectures en public, participation à des tables rondes, conférences…), sont loin d’être accessoires. Elles constituent une part importante de leurs revenus, comme le montre l’étude Retours à la marge, publiée en 2016.
Risque pour l’image du droit d’auteur
Mais pour les auteurs, le risque ne s’arrête pas là. La SGDL tire la sonnette d’alarme sur les effets dévastateurs d’une telle démarche pour la cause du droit d’auteur, en général.
Percevoir de l’argent sur les lectures publiques « serait mettre l’image du droit d’auteur en danger ! », pointe le directeur général de la SGDL. Ce, à un moment où le droit d’auteur est déjà largement fragilisé, notamment sous l’effet du développement des ressources numériques. « Il n’est pas question de le galvauder ! » martèle Geoffroy Pelletier.
Pour l’heure, la SGDL espère donc qu’un prochain rendez-vous sera organisé avec les toutes parties prenantes (SCELF, Association des bibliothécaires de France, SGDL, et d’autres associations comme la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse…). « Nous voulons un accord global avec tous », précise le directeur de la SGDL.
Avec, comme objectif, le retour, « sans conditions », à la situation antérieure, c’est-à-dire :
- l’exonération totale pour les lectures d’oeuvres par l’auteur lui-même, qu’elles soient gratuites ou payantes. Quelques cas rares de lecture publiques (par exemple organisées par un tourneur avec un calendrier de représentations) pourraient faire l’objet d’une rémunération « sous réserve de bien définir ces manifestations, qui ne représentent pas plus d’1% des lectures publiques », précise Geoffroy Pelletier ;
- l’exonération totale des lectures publiques en bibliothèque, réalisées par l’auteur, un membre la bibliothèque, un bénévole.
Par ailleurs, la SGDL appelle le Syndicat national des éditeurs (SNE) à se positionner clairement sur le sujet. En effet, la SCELF est mandatée par quelque 300 éditeurs pour assurer la collecte des droits sur les lectures publiques. Mais jusqu’à présent, le Syndicat national de l’édition (SNE) ne s’est pas encore exprimé.
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