Chaque grande évolution en appelle aux principes pour clarifier le débat et susciter l’adhésion de fond. La fiscalité n’échappe pas à cette règle. On ne peut continuer à affirmer tranquillement qu’il ne faut pas opposer villes et campagnes en se limitant à poser des rustines sur un système obsolète, et sans donner de lisibilité aux acteurs. Ce sont de telles attitudes qui conduisent aux révolutions lorsque l’incompréhension atteint son paroxysme et qu’une étincelle l’embrase.
La fin de l’âge d’or
Notre système fiscal a près d’un demi-siècle. Il fut conçu à la fin des 30 glorieuses, alors qu’un Etat trop centralisé imagina de s’adjoindre le concours des collectivités pour accompagner le développement du pays. Il leur concéda la capacité de fixer l’impôt assis sur les ménages et l’entreprise, et tout naturellement favorisa le cadre de la décentralisation, prélude à une ère nouvelle.
L’économie était florissante, les finances publiques à l’équilibre, la richesse et la population encore harmonieusement répartie sur le territoire, tout comme l’emploi.
La fiscalité locale reposait alors sur la territorialisation d’une ressource bien répartie dans l’hexagone, corrélée à un aménagement du territoire efficace, doublée d’une péréquation verticale bien nourrie, et de services publics omniprésents.
Las ! Le choc pétrolier et les soubresauts des crises successives se profilaient avec les premiers budgets nationaux en déséquilibre. Progressivement, à partir des années 90, la mondialisation allait marquer notre paysage, pour conduire le gouvernement à mettre un frein à la décentralisation vers les années 2000 et diminuer progressivement l’impôt local sur l’entreprise, dont l’Etat acquittait alors près de la moitié, aboutissant au remplacement de la taxe professionnelle (TP) en 2010.
Cette érosion d’un système fiscal hier bien huilé, allait le conduire en une quinzaine d’années à l’obsolescence patente que nous connaissons aujourd’hui, alors que les paramètres qui avaient présidé à sa mise en place s’inversaient en totalité :
- montée en puissance critique de la dette publique,
- chômage massif,
- aménagement territorial absent et réduction drastique des services publics sur 80% de l’espace,
- polarisation des zones économique et de l’habitation sur les centres urbains.
Ces nouveaux facteurs modifiant radicalement le paradigme et l’écosystème public.
Cristallisation des ressources vers les métropoles
En effet, la territorialisation de l’impôt accentuée par cette polarisation, conduit à une cristallisation massive des ressources sur une nouvelle géographie correspondant aux zones portuaires et aux métropoles, et nécessite la mise en place d’une péréquation horizontale, qui est de plus en plus mal ressentie du fait des contributions exigées par un Etat impécunieux pour résorber la dette (via la Contribution au Redressement des Finances Publiques , CRFP). Les territoires ruraux, de leur côté, vivent de plus en plus mal l’érosion exponentielle de leurs ressources, du fait de la fuite des services publics et de l’impossibilité d’assurer les charges de centralité d’une population ayant les mêmes exigences que l’urbain, ce qui produit un effet ciseaux insoutenable.
Face à cette situation cruciale, l’Etat réagit d’une part en réduisant l’autonomie fiscale des collectivités dont elles se croyaient dotées, en limitant leur pouvoir de taux et en substituant des dotations ou des parts d’impôts nationaux – c’est le sens de la suppression de la TP hier, et de celle de la TH aujourd’hui – Il décorrèle progressivement l’impôt des territoires pour éviter que la répartition qui s’ensuit ne passe par une péréquation trop forte qui met les acteurs sous tension. Les élus locaux n’y trouvent cependant plus aucune lisibilité…
Cette situation est intenable pour les années à venir et exige une analyse lucide qui conduise à permettre aux métropoles d’avoir des ressources suffisantes pour assurer leur compétitivité européenne et mondiale, et aux territoires de s’assumer dans leurs fonctions vitales à la nation toute entière, tout en offrant les conditions de vie attendues par tout un chacun.
la fin de la territorialisation de l’impôt
Ce revirement suppose une reconstruction totale du système fiscal et financier des collectivités locales, sur la base de principes nouveaux et adaptés à l’époque et aux conditions nouvelles, en lui redonnant de la lisibilité et de l’efficacité :
L’impôt doit cesser d’être territorialisé afin d’éviter une inégalité de ressources disproportionnée et qui oblige à une péréquation horizontale sans cesse plus importante et subie comme un fardeau et non comme un vecteur d’équité. Cette approche n’a plus de justification contemporaine.
Les charges qui sont encore véhiculées par des indices synthétiques ou des seuls rapports à l’habitant doivent faire l’objet d’une appréciation nouvelle et prépondérante, à partir de standards correspondants aux services et aux dépenses de centralité, en connexion avec leurs coûts réels. L’exemple italien pourrait nous inspirer.
En effet, devant la fuite des services publics et des opérateurs en zone rurale, les collectivités concernées doivent désormais assurer directement les services en résultant (lorsque ce ne sont pas les usagers qui en assurent directement le coût), ce qui accroit considérablement la charge par habitant, alors que les mêmes services demeurent très souvent dans les centres urbains, où les conditions permettent de les amortir. Les zones urbaines doivent, pour leur part, assurer parallèlement d’autres services, sans cesse plus sophistiqués.
Cette dimension nouvelle n’a pas été intégrée, alors qu’elle modifie radicalement les équilibres financiers.
Par ailleurs, les charges doivent être appréhendées par « territoire », afin d’intégrer le phénomène de l’intercommunalité qui a entrainé des transferts de compétences – ce qui ne s’oppose pas à une attribution communale, le cas échéant, dans un second temps –
Péréquation seulement verticale
La péréquation verticale pourra alors se substituer à la péréquation horizontale qui s’était progressivement fait jour, mais dans le cadre d’une nouvelle gouvernance systémique, qui reste à construire et dont l’équilibre sera essentiel :
A l’instar des autres pays modernes, les représentants d’élus locaux et de la Nation pourront alors, en concertation avec l’Etat, et non plus sous sa tutelle, décider de la répartition de la progression des impôts nationaux qui se seront progressivement substitués, pour partie aux impôts locaux, et qui sera consacrée :
- à la dynamique des métropoles, d’une part
- à l’équité territoriale, ensuite,
- le cas échéant, au remboursement de la dette nationale.
Ce doit être la piste d’une nouvelle décentralisation et d’une libre administration rénovée.
Un lien territorial avec le foncier bâti ?
Le panel de l’impôt sera profondément réformé, en distinguant la part des impôts nationaux, qui seront pour partie fléchés sur le local, les impôts locaux sans pouvoir de taux, ces deux catégories ayant vocation à constituer la part la plus importante, leur progression naturelle devra faire l’objet des affectations sus-évoquées.
Bien entendu, il devra demeurer une part significative, mais non essentielle d’impôts locaux symbolisant le lien entre le citoyen et la cité, faisant l’objet d’un pouvoir de taux. Ces impôts répondant à la tradition française de l’impôt citoyen, et de sa corrélation avec la responsabilité de l’élu.
Cela pourrait être notamment l’impôt substitué pour partie à la TH et au foncier bâti, en cours de refondation.
Ces quelques principes fondamentaux doivent être intégrés par chacun, et partagés avant toute mise en œuvre d’une réforme globale, laquelle devra savoir s’affranchir des dotations historiques, supports de beaucoup d’inégalités actuelles. Bien entendu, une telle évolution s’effectuera dans le cadre d’une substitution progressive des 2 systèmes, sur une durée soutenable de 5 à 10 ans.
Le grand soir résidera dans l’appréhension de ces principes fondamentaux. La déclinaison en sera ensuite la simple conversion technique.
Si nous n’acceptons pas cette révolution intellectuelle, c’est le modèle du « vivre ensemble » français, fondé sur la commune, qui sera altéré, et par là même les fondamentaux de notre culture nationale.
Il ne suffit plus de dire et chanter qu’il ne faut plus opposer rural et urbain, il faut admettre que ce sont deux choses distinctes, en poser les problématiques lucidement, de manière à répondre utilement aux besoins réels. Cessons de nous voiler la face, c’est ce qu’ont fait, ou réalisent actuellement, tous les pays modernes qui nous entourent. Cela fait aussi partie des chantiers capitaux à réformer, d’autant plus que notre territoire est vaste et très hétérogène, et qu’il peut devenir selon notre réactivité, un frein ou un atout majeur de notre compétitivité, à travers ses métropoles, mais aussi sa ruralité…
Cet article fait partie du Dossier
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