Floriane Louison est journaliste indépendante, après avoir longtemps couvert Creil et la Seine-Saint-Denis pour « Le Parisien ». Dans « Des gens à part – Enquête à Creil, terminus de la banlieue », celle qui a parcouru pendant cinq ans toutes les rues de la plus grande ville de l’Oise (34 000 hab.) raconte en creux l’histoire des villes moyennes. Cet ouvrage explique également comment l’enclavement d’un territoire peut ne pas être physique mais prendre corps par l’esprit et le vécu des habitants.
A partir de onze trajectoires de vie de Creillois, Floriane Louison décrit aussi comment une partie de la société française peine à trouver ses marques dans la nouvelle économie mondiale.
Avec cet ouvrage sur Creil, vous avez voulu donner un autre éclairage sur une commune souvent évoquée dans les faits divers. Comment expliquez-vous que les médias nationaux peinent autant à décrire la vie dans des villes moyennes ?
Creil n’est pas une ville marquée par une situation territoriale identifiée. Elle n’appartient ni à la ruralité ni aux quartiers urbains qui peuvent donner un relief à un territoire et nourrir les journaux. Le côté ordinaire de cette cité n’attire pas l’attention. Elle souffre du mal qui atteint beaucoup de territoires en périphérie : à la fois trop proche d’une métropole, ici Paris à 25 minutes de train, pour s’interroger sur une éventuelle relégation territoriale, et en souffrance dans une mondialisation que la ville peine à intégrer.
Le taux de chômage est ainsi deux fois plus élevé à Creil que dans le reste de la France. Ce terminus de la capitale mérite à lui seul que l’on donne la parole à ses habitants, qui vivent entre deux mondes.
Pourquoi, malgré une situation géographique relativement privilégiée, les habitants souffrent-ils d’un fort sentiment de délaissement ?
On résume trop souvent ce sentiment de relégation à des problématiques géographiques de communes éloignées des métropoles. A Creil, les frontières se situent essentiellement dans les têtes. La désindustrialisation a marqué la fin d’une identité collective dans une ville auparavant très ouvrière. C’est l’une des grandes responsables de la paupérisation des Creillois qui sont 35 % à vivre sous le seuil de pauvreté contre 14 % pour le reste de la population française.
De plus, le fait, pour Creil, d’être de tous les programmes de la politique de la ville produit une grande lassitude des équipes municipales et des habitants. Elle a testé tous les dispositifs dont aucun n’est parvenu à enrayer les problèmes de mal-logement, de décrochage scolaire et de chômage. La relégation se nourrit tout autant de ces échecs successifs.
Pourquoi les élus locaux peinent-ils à résoudre les problématiques auxquelles est confrontée la ville depuis longtemps ?
Les politiques creillois connaissent très bien la situation de leur territoire. Mais ils doivent faire face à des phénomènes qui les dépassent. Ils n’ont, par exemple, aucune prise sur la désertification industrielle de leur territoire. Les habitants leur demandent même des comptes sur des promesses qu’ils n’ont jamais faites eux-mêmes. Quand Jacques Chirac et François Hollande se succèdent à quelques années d’intervalle pour promettre de lutter contre la fermeture d’usines et qu’elles mettent la clé sous la porte quelques mois plus tard, l’échec est terrible.
Les élus locaux paient les pots cassés de cette insincérité de la parole politique. La politique de la ville correspond aussi à des dispositifs pensés par le gouvernement et rarement adaptés aux spécificités locales. C’est également pour cela qu’elles échouent à chaque fois à Creil.