Les objectifs affichés par l’Etat étaient ambitieux : 100 000 places d’accueil devaient être créées en crèche entre 2013 et 2017. Mais les collectivités se montrent de plus en plus frileuses pour investir dans les établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE, qui accueillent collectivement des enfants de moins de 6 ans), même si elles restent gestionnaires de 65 % du parc. Certes, la convention d’objectifs et de gestion (COG) 2013-2017 entre l’Etat et la Cnaf a tardé à être signée, laissant les gestionnaires dans le flou jusqu’en juillet 2013, et la période des élections municipales n’est pas propice aux grands projets, mais la tendance ne s’est pas inversée.
Sous-consommation du fonds
En 2013, une sous-consommation du fonds national d’action sociale (Fnas) de 243,7 millions d’euros entraîne un « rebasage » du Fnas l’année suivante. En novembre 2014, la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) décide donc d’augmenter les crédits d’investissement de 2 000 euros par place et de passer le budget de rénovation des établissements de 14 à 19 millions d’euros. Mais rien n’y fait.
En 2015, le budget du Fnas, qui s’élève à 5,5 milliards d’euros, est sous-consommé de 300 millions d’euros, puis à nouveau en 2016, avec cette fois un record de 500 millions d’euros. Le mal est connu. Du fait de la baisse des dotations de l’Etat, les collectivités rechignent à s’engager sur un tel investissement, de peur de ne pas tenir dans la durée. Car la Cnaf n’a pas voulu toucher à la prestation de service unique (PSU), dont les règles de financement n’ont pas évolué depuis 2014. Or, le coût de fonctionnement d’une place en crèche ne fait qu’augmenter. De 13 347 euros la place en 2011, il atteint 14 740 euros en moyenne en 2015, d’après les chiffres de l’Observatoire national de la petite enfance, piloté par la Cnaf. De même, les coûts d’investissement ont bondi de 89 % entre 2000 et 2013, passant de 18 079 à 34 312 euros la place, d’après les chiffres du Haut Conseil de la famille de l’enfance et de l’âge.
Jean-Louis Deroussen, président du conseil d’administration de la Cnaf, admet la difficulté de contractualiser avec les collectivités, même avec des crédits supplémentaires : « Il faut admettre qu’elles n’ont pas été au rendez-vous. Elles sont de plus en plus exsangues. » Or, les inégalités territoriales en matière d’accueil collectif sont criantes. En 2014, le nombre de places existantes en EAJE pour cent enfants de moins de 3 ans varie en effet de 6 à 46 selon les départements. Persuadé que les communes manquaient de visibilité sur leurs besoins d’accueil, le gouvernement a mis en place les schémas départementaux des services aux familles, dont l’objectif était d’obtenir une analyse précise et concertée. Mais ceux-ci ont tardé à se concrétiser, et surtout ne sont pas prescriptifs. La concertation a eu lieu dans beaucoup de départements, mais n’a pas (encore ?) eu d’effet sur les décisions d’investissement, au vu du nombre de places créées en 2016, à savoir 8 584 places net.
Le privé lucratif en pointe
La baisse des dotations pousse aussi certaines collectivités à diminuer le service rendu, comme le souligne Philippe Scarfogliero, administrateur de la CAF de la Seine-Saint-Denis : « Certaines collectivités ferment tout le mois d’août ! Et les parents, ils font quoi ? Ils se tournent vers le privé ! » De fait, la frilosité des collectivités locales est du pain bénit pour le secteur privé lucratif. En 2015, sur les 7 071 places créées et financées via la PSU, 52,9 % l’ont été par les entreprises privées, contre seulement 29 % pour les collectivités. Par ailleurs, le nombre de places en microcrèches financées par la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje), explose : 21 167 en 2015, soit 4 902 de plus qu’en 2014.
En Seine-Saint-Denis, qui manque de solutions d’accueil, le secteur privé représente plus de 60 % des places créées en 2015, assure Philippe Scarfogliero. « Nombre de collectivités réservent des berceaux dans ces crèches, et contribuent à leur dynamisme », ajoute-t-il. Une percée qui inquiète les CAF. « Nous voyons arriver dans le secteur des acteurs plus à l’aise pour faire des business plans que des projets pédagogiques », regrette Lucie Moreau, directrice de l’enfance et de la famille au conseil départemental du Bas-Rhin. Dans son livre blanc destiné aux candidats à la présidentielle, la Fédération française des entreprises de crèches (FFEC) milite pour une hausse de la capacité d’accueil des EAJE indexée à la surface des locaux (6 m2 par enfant), et pour l’accès des titulaires d’un CAP à la catégorie de personnel dit « qualifié », sous réserve d’un minimum d’expérience. Des velléités de dérégulation que les professionnels de la petite enfance voient d’un mauvais œil.
La Cnaf a décortiqué le coût de fonctionnement des crèches
Inflation Le prix de revient moyen d’une heure en crèche est passé de 8 euros en 2007 à 10,18 euros en 2016, soit une augmentation de 22,6 %, alors que l’inflation n’était que de 10 % sur la même période. Ces coûts prohibitifs expliquant en partie la désaffection des communes dans la création de crèches, la Cnaf s’est penchée sur la structure des coûts de fonctionnement, dans une étude publiée en mai 2016(1). Selon ses comparaisons, le statut juridique influe sur le prix de revient : il est plus élevé chez un gestionnaire privé (11,54 euros) que dans le public (10,64 euros), les gestionnaires associatifs étant les mieux placés (9,25 euros).
Le taux d’occupation n’est pas neutre : 10 % supplémentaires réduiraient le prix de revient de 56 centimes. Le personnel représente 75 % des coûts de fonctionnement. Ils sont plus élevés chez les gestionnaires publics : 9,28 euros par heure, contre 6,83 euros en crèche associative et 6,52 euros pour les entreprises privées, ce qui s’explique par la moindre expérience professionnelle des salariés de ce secteur.
Des chiffres critiqués
Ces chiffres sont toutefois à prendre avec précaution, selon les auteurs de l’étude, car les collectivités ne comptabilisent pas « en coûts complets l’ensemble des charges supportées ». La FFEC dénonce quant à elle un biais méthodologique. « Ils ont comparé des données brutes, sans sortir la dimension immobilière », s’étonne son président Sylvain Forestier, pour qui il ne fait aucun doute que les entreprises de crèches reviennent, au final, moins cher . « Sinon, pourquoi les maires nous délégueraient-ils aussi massivement leurs crèches ? » interroge-t-il.
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Accueil du jeune enfant : des besoins difficilement comblés
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