Après les « charrettes » des municipales de 2014 et des législatives de 2017, la France est-elle entrée dans l’ère des « élus Kleenex » ? Telle est la question, iconoclaste, posée par Patrice Girot, président de la section Ile-de-France du syndicat national des directeurs généraux des services des collectivités territoriales (SNDGCT), lors du congrès de son union régionale, le 6 juillet à Montrouge. A cette occasion, un ancien député, Sébastien Pietrasanta (PS) reconverti dans un cabinet de conseil en sécurité publique et un nouveau, Robin Reda (LR) ont échangé sur leur expérience. Quand le premier, juste avant ses quarante ans, dit adieu au climat délétère de la vie politique à Asnières, l’autre, maire de Juvisy jusqu’au 4 juillet dernier, fait son entrée dans l’hémicycle à 26 ans seulement. Extraits de leur échange autour de leur parcours d’élu et de leur rapport au territoire.
Le parlementaire de l’après-cumul
Sébastien Pietrasanta : Avec la loi sur le non-cumul de 2014, les députés-maires comme moi se sont faits hara-kiri. Pas par conviction, mais par discipline, parce qu’on s’est dit que cela faisait bien… Pendant deux ans, j’ai été un bon député-maire. Ma première question au gouvernement portait sur les emprunts toxiques qui touchaient ma commune. J’ai eu accès aux cabinets ministériels tant que je le voulais, ce qui n’aurait pas été le cas si j’avais été un simple maire. Ensuite (NDLR : après la défaire de Sébastien Pietrasanta aux municipales de 2014 à Asnières), j’ai été uniquement député. J’ai été parlementaire en mission sur la lutte contre le terrorisme. Un travail que je n’aurais jamais pu faire si j’avais été maire. Des députés ne voient pas les choses ainsi. Certains maires, minoritaires, siégeaient pour s’offrir un complément de revenu. D’autres défendaient, avant tout, leur territoire. Mais un député est-il là pour faire la loi ou remettre des coupes le dimanche ?
Robin Reda : Je me méfie beaucoup de l’éloignement du territoire. Des députés (NDLR : de La République en Marche) ont gagné sans le soutien de maires. Ils vont s’enfermer pendant cinq ans à l’Assemblée. Ils vont vivre leur vie, sans se préoccuper de leur territoire. Il ne faut pas s’habituer au confort de la mini-ville intégrée du Palais-Bourbon. En tant que député, j’ai un rôle de relais des élus locaux sur un certain nombre de dossiers. Et je remets des coupes le dimanche ! Dans ma commune, j’invente le rôle du député-conseiller municipal. Il n’y a plus de directeur de cabinet à Juvisy. Je suis conseiller municipal en charge du cabinet.
La fin annoncée de la réserve parlementaire
Sébastien Pietrasanta : Avant 2012, l’opacité était totale. On a changé les règles du jeu en attribuant 130 000 euros à chaque député « de base » et en imposant la transparence. Pour ma part, je suis allé plus loin. J’ai organisé un jury citoyen sans ma présence qui n’était pas constitué de jeunes socialistes, mais de gens extrêmement représentatifs. En province, c’est sans doute différent. Le député fait le tour des conseils municipaux pour attribuer sa réserve. Il se rapproche plus du sénateur.
Robin Reda : La réserve parlementaire est un système archaïque. Mais il ne faudrait pas que sa suppression se fasse sur le dos de l’Assemblée et des territoires. Voilà pourquoi l’idée d’un fonds national en appui des initiatives locales me paraît intéressante.
Les dommages collatéraux du « dégagisme »
Sébastien Pietrasanta : Un député ne peut pas être un maire-bis. On a le Sénat qui est sensé représenter les territoires. Mais je sais aussi qu’une élection ne se fait pas au mérite. La première chose que l’on m’a dite quand je suis devenu député, c’est : « Tu peux passer tes jours et tes nuits à l’Assemblée, cela ne servira à rien pour ta réélection ». Je l’ai encore constaté avec la défaite de députés très investis comme Georges Fenech (LR), président de la commission sur la lutte contre le terrorisme, ou Jean-Jacques Urvoas (PS) et Dominique Raimbourg (PS), les deux présidents de la commission des lois durant la mandature.
Robin Reda : Déjà, aux municipales de 2014, nous avons assisté à un premier mouvement de « dégagisme ». On a vu que les électeurs étaient assez grands pour réduire eux-mêmes les mandats dans le temps. Ce contexte nous interdit de penser la politique en terme de carrière. Nous sommes en mission. Avec la réforme territoriale et la baisse des dotations, les nouveaux maires de 2014, comme moi, ont été mis dans le grand bain très directement pour prendre des décisions difficiles. J’ai l’impression d’avoir fait dix mandats en trois ans.
Sébastien Pietrasanta : Plus profondément, je m’interroge sur le degré de maturité des électeurs et de notre démocratie. Ce ne sont pas les élus qui alimentent un système clientéliste, mais les électeurs qui se comportent comme des clients et monnaient leurs voix. Cela devient extrêmement difficile de faire de la politique dans ces conditions-là.
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