Quelle sera la politique de Françoise Nyssen en matière d’éducation artistique et culturelle (EAC) ? Nul ne le sait à ce stade. Cependant quelques indices laissent espérer que la nouvelle ministre de la Culture se restera pas insensible au sujet.
Affinités avec l’EAC
A commencer par son CV, où l’année 2015 correspond à deux événements liés à ce secteur :
- l’entrée de la directrice d’Actes Sud au Haut-Conseil de l’éducation artistique et culturelle
- la création du Domaine du Possible, école alternative, implantée près d’Arles. Au-delà du débat suscité par la pédagogie de ce lieu (non conventionné avec l’Education nationale), les arts et la culture y tiennent une place centrale.
Par ailleurs, dès le 19 mai, lors d’une visite à La Villette (Paris), la nouvelle ministre a qualifié l’EAC de « priorité du quinquennat », avant, d’évoquer, deux jours plus tard, dans un entretien avec le quotidien La Provence sa conception des relations entre la Rue de Valois et la Rue de Grenelle, deux ministères souvent accusés d’entretenir des rapports de rivalité. Elle y parle de l’EAC comme quelque chose de « fondamental ».
Le rapport éducation – culture m’importe énormément. Et je sais que cela importe aussi à ce nouveau gouvernement. J’ai tout de suite demandé à rencontrer mon collègue de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, pour voir comment réfléchir ensemble. J’ai participé pendant des années au Haut conseil de l’éducation artistique et culturelle et cette éducation-là doit se faire partout, tout le temps, dès le plus jeune âge. C’est l’une des priorités. C’est fondamental.
Une circulaire et un décret
En prenant connaissances des tout derniers textes publiés par le ministère de la Culture, la nouvelle ministre va en trouver deux relatifs à l’EAC, qui ont été publiés le 10 mai 2017. Passés inaperçus dans une actualité focalisée sur l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République trois jours plus tôt, ces deux textes, préparés par l’ancien gouvernement, vont dans le sens souhaité par les acteurs locaux. Il s’agit :
- de la circulaire du 10 mai 2017 relative au développement d’une politique ambitieuse en matière d’éducation artistique et culturelle, dans tous les temps de la vie des enfants et des adolescents, destinée aux préfets, aux drac et aux directeurs régions de Jeunesse et Sports ;
- du décret n° 2017-1045 du 10 mai 2017 relatif à la composition et au fonctionnement du Haut Conseil sur la composition du Haut conseil de l’éducation artistique et culturelle.
La circulaire émane des 4 ministères concernés : Culture, Education, Ville-Jeunesse et Sports, Secrétariat d’Etat chargé de la Ville. Elle synthétise les différents textes des dernières années et préconise quelques axes de gouvernance : les comités territoriaux de pilotage à l’échelle régionale, et les comités locaux de pilotage. Des évolutions demandées par la députée (PS) de Gironde Sandrine Doucet, dans son rapport intitulé « les territoires de l’éducation artistique et culturelle » et publié en février 2017. La circulaire met par ailleurs l’accent sur EAC tout au long de la vie.
Le décret fait passer la composition du Haut conseil de l’éducation artistique et culturelle de 24 à 31 membres, et les représentants de l’Etat de 8 à 11 personnes. Il fait par ailleurs entrer deux associations d’élus supplémentaires dans cette instance : France Urbaine et l’ADCF. De quoi renforcer un peu plus le regard des collectivités dans le processus d’observation de ce secteur.
Exposition Sol LeWitt, Centre Pompidou Metz, © J.P. Dalbera CC BY SA 2.0
Examiner l’existant
Françoise Nyssen va devoir répondre à de très fortes attentes du côté des acteurs de l’EAC. « Nous voulons que la ministre regarde de près ce qui se fait déjà, insiste François Deschamps, DGA de la commune nouvelle d’Annecy (Haute-Savoie) en charge de la culture et membre du Collectif pour l’éducation par l’art, qui réunit artistes, universitaires et professionnels du secteur (1).
Or le bilan n’est pas totalement négatif, ce secteur faisant partie des domaines où le quinquennat de François Hollande a été marqué par des avancées : présentation d’un plan national en 2012, mention de l’EAC dans la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, inscription dans une circulaire du principe d’un « parcours d’éducation artistique et culturelle« , élaboration d’une charte sur le sujet en juillet 2016 (à l’initiative du Haut conseil pour l’éducation artistique et culturelle).
Cependant, la réduction du budget du ministère de la Culture lors de la première partie du quinquennat précédent, la persistance d’une scission entre enseignements artistiques à l’école et EAC pendant le temps périscolaire, et un manque de structuration dans la mise en œuvre des projets au niveau territorial ont freiné la généralisation de ce secteur éducatif et laissé un sentiment d’inégalité et d’inachevé chez beaucoup d’élus locaux et de professionnels.
Les nombreuses propositions des acteurs de l’EAC
Les propositions d’amélioration ne manquent pas. La ministre va disposer d’au moins trois documents pour travailler le sujet.
Dans son rapport publié en février 2017, la députée (PS) de Gironde Sandrine Doucet, a pointé ces lacunes et proposé des pistes d’amélioration.
De son côté, la Fondation Jean Jaurès a réuni, également en février dernier, des spécialistes du secteur pour examiner « pourquoi et comment aller plus loin ».
Enfin, le Collectif pour l’éducation par l’art, par la voix de Christine Bolze, ex-directrice d’ Enfance Art et Langage (2). Sa « contribution » intitulée « Vers une plateforme nationale et territoriale de l’éducation artistique et culturelle. Agir par la ressource, démultiplier par la coopération », que la Gazette peut publier en exclusivité, explore notamment la question du partage des connaissances et des bonnes pratiques (ressources), avec 3 différents scénarii possibles (lire encadré).
Si Sandrine Doucet estime que l’EAC constitue un secteur « relativement peu onéreux », la Fondation Jean Jaurès estime, pour sa part, que « l’essentiel ce sont […] des budgets dédiés et suffisants. » Crédits qui devraient englober un « plan Marshall de la formation des enseignants ».
Inconnues
« Il faudrait si possible des formations conjointes des enseignants (toutes disciplines confondues puisque l’enjeu est bien d’intégrer une dimension artistique et une dimension culturelle dans tous les enseignements) et des artistes et professionnels de la culture », complète François Deschamps, qui insiste sur la nécessité de « moyens financiers significatifs » pour la mise en œuvre des objectifs énoncés par l’Etat.
Planent, pour le moment, deux grandes interrogations : d’une part, la capacité de Françoise Nyssen à obtenir des crédits suffisants pour son ministère, en général, lors de la préparation du budget 2018, et, en particulier, pour l’EAC ; d’autre part, l’implication du nouveau ministre de l’Education nationale dans ce domaine : Jean-Michel Blanquer est réputé très engagé pour l’acquisition des savoirs fondamentaux, moins sur les pédagogies artistiques.
Comment gérer les ressources de l’EAC ?
Basé sur l’identification des besoins formulés par les professionnels de l’éducation artistique et culturelle et l’analyse du secteur et des pratiques de terrain, la contribution du Collectif pour l’éducation par l’art (Vers une plateforme nationale et territoriale de l’éducation artistique et culturelle. Agir par la ressources, démultiplier par la coopération) rédigée par Christine Bolze, spécialiste de l’éducation artistique des tout-petits, comporte :
- une typologie des ressources de l’EAC (statistiques, ressources scientifiques, bonnes pratiques, formations etc.) ;
- la création d’une plateforme nationale de gestion de ces ressources, relayées par des plateformes territoriales, et définissant des méthodologies de circulation des informations à l’ère numérique. Il s’ agirait de favoriser la localisation et le partage des connaissances, des compétences avec l’ensemble des partenaires dispersés sur le territoire national, ce qui permettrait une cohérence dans la production de services ou de documents secondaires aux ressources ;
- trois scenarii pour la collecte et la gestion de ces ressources, que le collectif propose de mettre en débat.
Les trois options possibles seraient :
- confier le service public des ressources de l’EAC à l’Etat ;
- répartir ces ressources via une structure nationale (type agence, établissement public, GIP…) ou une mission interministérielle (par exemple via un portail), avec des relais régionaux, pour constituer un observatoire ;
- déléguer ce service public des ressources, par exemple à l’Observatoire des politiques culturelles (OPC), les Drac et les régions étant alors chargés de co-constituer des plateformes régionales.
« Actuellement, ces ressources sur l’EAC sont dispersées sur tout le territoire et non traitées, explique François Deschamps. Et ces ressources manquent aux collectivités qui veulent s’investir dans ce domaine. Il existe, certes, les PREAC [Pôles de ressources pour l’éducation artistique et culturelle, ndlr] dans les différentes régions, mais ils sont très spécialisés sur une thématique et n’ont pas de lien entre eux, il n’y a donc pas de coordination et de cohérence d’ensemble. De plus, certaines collectivités sont éloignées du PREAC de leur région, et elles peuvent avoir besoin de ressources sur d’autres domaines que la spécialité de celui-ci.»
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Notes
Note 01 François Deschamps est co-auteur, avec l’universitaire Marie-Christine Bordeaux, de l’ouvrage : « Education artistique, l’éternel retour ? », qui plaide pour une recomposition des responsabilités de l'EAC centrée sur les collectivités. Il s’apprête à prendre sa retraite mais compte maintenir son engagement militant en faveur du développement de l’EAC. Membre du Collectif pour l’éducation par l’art, il est également administrateur de l’Association nationale de recherche et d’action théâtrale, milite pour le théâtre à l’école (ANRAT. Retour au texte
Note 02 Enfance Art et Langage est une structure qui a déployé de l’EAC dans les écoles de lyonnaises, avec des artistes en résidence jusqu’à l’été 2016. Ses activités ont pris fin avec l’arrêt des subventions de la ville de Lyon. Retour au texte