Que vous inspirent les annonces politiques sur la fonction publique ?
Il faut dépasser les questions du nombre de fonctionnaires et des 1607 heures. Le vrai débat n’est pas là. L’administration publique s’est modernisée avec les réorganisations territoriales des collectivités, comme de l’Etat, les réorganisations dans les hôpitaux, la dématérialisation, dans ses relations avec les usagers… Nous devons maintenant faire évoluer la fonction publique, la mettre en mouvement, tout en allant au-delà du sujet du statut dont nous souhaitons le maintien.
Comment s’y prendre ?
Il faut organiser un grand débat pour définir ce que l’on veut comme fonction publique, pour définir son périmètre, et déterminer et améliorer le service public rendu aux usagers. Il faut le faire maintenant.
Une consultation des organisations, syndicales, des associations de praticiens, des usagers, permettrait de négocier une sorte de consensus conduisant à une grande loi sur la fonction publique, comme nous n’en avons plus connu depuis celle du 13 juillet 1983. Cela serait l’occasion de nouer un pacte de confiance avec les usagers et entre les agents, et de ne pas rester dans des visions caricaturales.
Les fonctionnaires ne se sentent plus en confiance ?
Outre le fonctionnaire bashing, il y a une perte du sens. Moderniser la fonction publique parce que l’administration s’est modernisée, c’est aussi permettre de redonner du sens, de responsabiliser les acteurs de terrain, d’accorder de l’autonomie, de leur faire confiance, de leur donner les capacités de faire changer les choses. Sinon cela va se gripper.
Concrètement, quelles mesures faudrait-il prendre pour moderniser la fonction publique ?
L’allègement de la gestion administrative est indispensable. Aujourd’hui, nous faisons beaucoup de gestion administrative au détriment de la gestion des ressources humaines et des parcours. Il y a un gros travail de simplification et de toilettage des textes à mener. Il passe sans doute par une révision et une harmonisation des grilles, pour avoir de vraies passerelles et assurer de la transparence au sein des fonctions publiques. L’objectif de PPCR était louable, mais ce n’est pas ce qu’attendent les agents.
Aujourd’hui, nous faisons beaucoup de gestion administrative, au détriment de la gestion des ressources humaines et des parcours.
Les grilles et les régimes indemnitaires sont aujourd’hui illisibles. Il faudrait aussi tirer les leçons de la réforme des diplômes universitaires et classer tous les grades en fonction de leur correspondance avec le système Licence Maîtrise Doctorat (LMD), revoir les cotations des cadres d’emplois (aujourd’hui tous les bac+3 ne pas toujours des catégories A).
Et concernant l’accès à la fonction publique ?
Nous sommes pour le maintien du concours, mais en revoyant un certain nombre d’épreuves qui ne sont pas assez opérationnelles. En revoyant aussi la place du concours par rapport aux contractuels.
Recourir aux contractuels, c’est un moyen d’ouvrir la fonction publique, de l’oxygéner avec des profils différents. Mais cela ne revient pas moins cher (car il y a des cotisations chômage en plus). La contractualisation doit être une voie d’accès à la fonction publique en plus du concours. Mais elle doit se faire dans un cadre pour qu’il n’y ait pas d’iniquité. La diversification est essentielle, notamment via l’apprentissage, un sujet sur lequel la fonction publique est très en retard par rapport au privé. Tout comme la validation des acquis de l’expérience qui doit pouvoir être mieux reconnue.
Faut-il aller vers un système de l’emploi, fondé sur le contrat ?
Des pays comme le Canada ou l’Italie, qui sont allés vers le système de l’emploi, le regrettent. Je suis partisan du système de la carrière [fondé sur le statut, ndlr]. Mais il faut le moderniser. On ne peut pas tout centrer sur le prisme de l’individu. Le système de la carrière protège, apporte des garanties aux fonctionnaires.
Que pensez-vous d’une éventuelle décorrélation du point d’indice entre les trois versants de la fonction publique comme le prévoit le programme d’Emmanuel Macron ?
Les fonctionnaires doivent pouvoir avoir de la visibilité sur leur rémunération pendant cinq ans. Il faut donc fixer un ou des rendez-vous sur ce sujet. Décorréler le point d’indice n’est pas forcément la meilleure mesure.
On voit l’idée qu’il y a derrière de ne pas faire évoluer tout le monde en même temps. Mais ce n’est pas le plus important. Il s’agit mais plutôt de donner de la visibilité et du pouvoir d’achat. La rémunération, c’est la reconnaissance.
Et quant à une rémunération au mérite ?
Nous ne sommes pas contre la rémunération au mérite. Il y a déjà le Rifseep qui tient compte des missions, des sujétions. C’est une forte évolution. Achevons sa mise en place. Et puis faisons également un bilan des entretiens professionnels.
On peut travailler sur l’individualisation des rémunérations. L’important est de responsabiliser l’expertise terrain. Mais ne faisons pas du copier-coller du privé, car la fonction publique a ses spécificités.
Comment appréciez-vous l’annonce de suppressions de postes de fonctionnaires : 120 000 dont 70 000 dans la territoriale du côté d’Emmanuel Macron, 300 000 sur cinq ans du côté des Républicains ?
L’administration a fait énormément d’efforts ces dernières années en termes de réduction du nombre de postes. Quand un agent part à la retraite, on se pose toujours la question du devenir du poste. Les efforts vont, semble-t-il, devoir se poursuivre.
La réduction du nombre de postes n’est pas la porte d’entrée du débat sur la fonction publique, elle en est seulement un élément.
L’objectif de suppression de 120 000 semble atteignable. Mais la réduction du nombre de postes n’est pas la porte d’entrée du débat sur la fonction publique, elle en est seulement un élément. Et puis il y a toujours la libre administration des collectivités !
Avoir un système unique de retraites est-il une bonne chose ?
Sans doute. On a déjà commencé à aller en ce sens avec la retraite additionnelle de la fonction publique. Il serait normal que les fonctionnaires cotisent sur la totalité de leur rémunération, dont leur régime indemnitaire, qui représente environ 20% du salaire total. La convergence entre le public et le privé éviterait les regards suspicieux.
Cet article est en relation avec les dossiers
- Le statut de la fonction publique, flexible malgré tout
- Qui veut la peau des fonctionnaires ? Le « fonctionnaire bashing » dans tous ses états
- Temps de travail : les fonctionnaires territoriaux travaillent-ils assez ?
Thèmes abordés