La République est souple, elle sait faire le grand écart. A fortiori dans cette période de campagne électorale, où les positions s’exacerbent. Premier mouvement avec Marine Le Pen, en riposte à la mise en cause de plusieurs proches par la justice. Le 26 février, en meeting, la présidente du Front national menace les fonctionnaires qui, selon elle, utiliseraient les moyens de l’Etat « sur ordre du personnel politique » pour « organiser des persécutions » contre son parti. Plusieurs cadres du parti renchérissent en avertissant que « l’Etat que nous voulons sera patriote » ou que « la haute fonction publique se doit d’être patriote ». Ni le statut de la fonction publique, ni la Constitution ne font référence à la notion de patrie ou de patriotisme (à l’inverse des notions de neutralité et d’intérêt général), mais l’on croit comprendre que le Front national envisage les fonctionnaires le petit doigt sur la couture du pantalon.
Sphère de légitimité
Arrive alors le deuxième mouvement, à peine quelques jours plus tard, à contrepied du premier : l’Association des administrateurs territoriaux de France (AATF) dévoile ses « 20 propositions à l’attention des candidats » à l’élection présidentielle. Un geste audacieux et, à notre connaissance, une première : des (hauts) fonctionnaires s’autorisent à interpeller publiquement le monde politique en disant, en substance, « voici ce que vous devez faire si vous voulez vraiment redresser le pays ». On voit le décalage entre ces deux élans. Et saluons l’ambition de l’AATF en ce qu’elle fait profiter le débat public de la maîtrise technique de ses membres. La fonction publique n’est pas un corps sans visages, ni cerveaux. Il serait dommage d’en priver le pays.
Ceci dit, la démarche ne fait pas l’unanimité. Certains considèrent en effet que l’association va trop loin et dépasse allègrement sa sphère de légitimité. Ils n’ont pas tort : les 20 propositions de l’AATF ne font pas un programme, tant elles sont hétérogènes. Et l’on comprend mal, par conséquent, ce qui a présidé à leur sélection, d’autant qu’il y manque un chiffrage et un mode d’emploi. Homme ou femme politique, c’est aussi un savoir-faire.
Références